Cologne : La tentation raciste

Les violences ont fait ressurgir la peur de « l’étranger violeur », et entraîné un violent clivage entre les groupes féministes.

Ingrid Merckx  • 3 février 2016 abonné·es
Cologne : La tentation raciste
© Photo : Sascha Schuermann/Getty Images/AFP

Les événements de la Saint-Sylvestre à Cologne font converger les interrogations, les peurs et les tendances complotistes. À la suite du déferlement de plaintes déposées pour agressions sexuelles, les Syriens ont été les premiers visés. Et ce au moment même où l’Allemagne refermait les bras qu’elle avait ouverts aux réfugiés en 2015. Des militants d’extrême droite ont fait tourner un hashtag sur Twitter : #rapefugee (#refugiévioleur).

Les soupçons se portant finalement vers des jeunes hommes d’origine maghrébine, la théorie de l’assaut sexuel organisé (mafia ? Daech ?) a circulé. En arrière-plan, un débat virulent sur l’islam et les femmes, ainsi qu’un clivage entre groupes féministes. « Je suis choquée que le mouvement féministe allemand dominant ait pris très vite une position xénophobe et anti-arabe, a déclaré Barbara Vinken, auteure de La Mère allemande. Ce qui est en jeu, c’est le fantasme du viol de la femme allemande par l’étranger » (Le Monde).

Autre rumeur : des services de police sont accusés de masquer une « délinquance nord-africaine ». C’est le cas en Suède, où des affaires de viol survenues en 2011 émergent alors que ce pays, réputé le plus accueillant d’Europe, restreint sa politique d’accueil. À Cologne, les membres de la diaspora maghrébine installée en -Allemagne depuis l’industrialisation redoutent une stigmatisation. Dans toute l’Europe, les partis d’extrême droite s’inventent défenseurs des droits des femmes. Et le « réfugié » fuyant la guerre, qui avait meilleure presse que le « migrant » économique, devient l’objet de toutes les peurs.

En Allemagne, des Syriens ont manifesté contre le sexisme via le -hashtag #Syrer-GegenSexismus, (« Syriens contre le sexisme »). En Europe, un appel circule, « Nous devons parler de Cologne » : « Nous, réfugiés et communautés de migrants installés dans différents pays d’Europe, de nationalités et d’horizons variés, condamnons fermement les récentes attaques contre les femmes ayant eu lieu en Allemagne. […] Nous craignons que les conséquences politiques et sociales de cet événement n’affectent profondément les sociétés qui nous ont accueillis et les milliers de personnes innocentes cherchant refuge. »

En France, la philosophe Élisabeth Badinter affirme que les « néoféministes » auraient « adopté les priorités de l’extrême gauche : faire silence sous peine d’alimenter le racisme ». Le 21 janvier, Loubia, une blogueuse, s’interroge, elle, sur le fait que les femmes aient porté plainte aussi vite, « alors que, dans la majorité des autres contextes, elles ne le font pas ». Et sur « le mécanisme qui a fait que la police a pris les plaintes au lieu de culpabiliser les victimes, comme c’est souvent le cas ».

« Il est plus facile de dénoncer un inconnu qu’un proche, tempère la sociologue Véronique Le Goaziou, mais on peut s’étonner de la rapidité avec laquelle les plaintes ont été déposées et du zèle de la police à les enregistrer. » Soit 834 plaintes au 20 janvier, dont 403 pour agressions sexuelles, 4 procureurs et 130 policiers dépêchés, 22 suspects…

« Les divisions déclenchées chez les féministes rappellent celles des années 1970, reprend la sociologue. Quand des féministes ont été accusées de “couvrir” des violences sexistes perpétrées par des immigrés. De là date la scission avec les partis d’extrême gauche. Chaque crise économique et politique aboutit aux mêmes rejets – Italiens, Polonais, Maghrébins aujourd’hui. Après “Ils viennent manger notre pain”, c’est “Ils viennent violer nos femmes…”. C’est un phénomène récurrent. Concernant Cologne, il faut faire la lumière sur les faits. Nous n’avons pas besoin de ces amalgames. »

Monde
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