Brésil : « Nous sommes à la veille d’un coup d’État ! »

Gilberto Maringoni voit dans la dénonciation de la corruption par la droite conservatrice sa volonté de reprendre le pouvoir par la force.

Marie Naudascher  • 23 mars 2016 abonné·es
Brésil : « Nous sommes à la veille d’un coup d’État ! »
© **Gilberto Maringoni** Professeur de relations internationales à l’Université fédérale de l’ABC à São Bernardo. Photo : EVARISTO SA/AFP

Bien qu’il critique le gouvernement actuel sur sa politique économique, vouée à l’échec dans un Brésil entré en récession en 2015, et qu’il ait quitté le Parti des travailleurs pour rejoindre en 2005 le Parti socialisme et liberté (PSOL), Gilberto Maringoni considère l’ex-Président Lula comme le seul personnage politique en mesure de tenter de sauver le gouvernement.

La popularité de la Présidente Dilma Rousseff est au plus bas, et 68 % de la population souhaite sa destitution. Comment, dans ce contexte, expliquer les manifestations en faveur du gouvernement du 18 mars dernier ?

Gilberto Maringoni Ce n’est pas en faveur du gouvernement. Je suis personnellement très critique de cette équipe, en particulier de sa politique économique. Si la gauche a resserré les rangs pour se faire entendre dans tout le pays, c’est qu’il est désormais clair que l’enjeu n’est pas la lutte pour la démocratie, mais de faire tomber ce gouvernement à tout prix. La démocratie est fragile au Brésil, qui reste, il faut le rappeler, l’un des pays les plus inégalitaires du monde. Plusieurs partis conservateurs entretiennent par leur discours l’intolérance, le sexisme et le racisme présents au sein de l’élite et d’une partie de la classe moyenne. Pour eux, tout est bon pour renverser la coalition au pouvoir, quitte à ne pas respecter la loi. Bien sûr, l’enquête « Lava Jato » a démasqué les réseaux de corruption liés à Petrobras, ce qui est louable. Mais le juge Sergio Moro, qui la dirige depuis deux ans, en a fait une affaire personnelle et prend parti politiquement. Il a, par exemple, divulgué, la semaine dernière, une conversation téléphonique entre Dilma Rousseff et Lula dans des conditions totalement illégales, tout cela pour monter la population contre l’ex-Président, qui devait être nommé ministre.

Le principal slogan des manifestations est « Non au coup d’État », n’est-ce-pas exagéré ?

Nous sommes effectivement à la veille d’un coup d’État, puisque la majorité des institutions travaille désormais pour faire tomber Dilma Rousseff : des membres de la justice et de la police, la grande presse et le patronat veulent accélérer sa destitution. Il ne s’agit pas, comme en 1964, d’un coup d’État militaire, mais d’un changement de gouvernement sans vote populaire. Par ailleurs, quand on voit des affiches « Fora Todos » (« tous dehors »), on comprend qu’une partie de la population préfèrerait l’ordre, les militaires, à n’importe quel leader politique, entendu comme forcément corrompu.

Pourquoi Dilma Rousseff se retrouve-t-elle à appeler à l’aide l’ancien Président ?

Parce que, malgré tout, Lula reste Lula. Avec une trajectoire politique impressionnante, il est le seul qui peut tenter de sauver le gouvernement, même si cela devient beaucoup plus difficile. Dilma a dilapidé son capital politique en quelques semaines, dès le début de son second mandat, quand ses électeurs ont compris qu’elle avait menti pendant sa campagne. En 2014, elle a remporté le duel contre le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSBD) sur un programme de gauche. Une fois les résultats des urnes officialisés, elle a fait sienne la ligne de son adversaire de droite, ce qui lui a fait perdre le socle de légitimité qui l’a fait élire.

Pourquoi avoir ainsi tourné casaque ?

Parce que le cycle économique prospère avait pris fin, et cela dès qu’elle fut investie dans ses fonctions, en 2011. Avec la chute du cours des matières premières, le Brésil a perdu des ressources, et l’idée qui a dominé les années Lula, selon laquelle on pouvait distribuer aux plus pauvres sans remettre en question les acquis des plus favorisés, ne fonctionne plus. Cette prise de conscience a immédiatement crispé les élites. Dilma a finalement décidé de préserver le secteur financier, rompant ainsi le pacte établi par Lula. De 7,5 % en 2010, le PIB dégringole à 2,9 % l’année suivante. En 2015, le Brésil entre en récession. Si on a une troisième année de croissance négative, ce sera la plus grande crise de l’histoire du Brésil depuis 1929.

Le Lula de 2003 est-il le même que celui que la foule est venue écouter le 18 mars à São Paulo?

De par son expérience syndicale, Lula est un conciliateur. Il négocie avec les patrons. Or la droite n’est plus intéressée par cette conciliation. Elle veut récupérer le pouvoir et détruire le PT. L’homme qui se présente à la gauche, déçue mais décidée à faire bloc contre la droite, c’est un Lula « paix et amour », une expression consacrée par un publicitaire pendant sa campagne en 2002. Lula rassemble encore des millions de Brésiliens, mais ce ne sera sûrement pas suffisant. Pour moi, c’est le même Lula, mais un peu plus sur la défensive.

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