Ces socialistes qui disent non

Bien au-delà des rangs des habituels frondeurs, le projet de loi El Khomri indispose de nombreuses sections et fédérations socialistes, qui n’hésitent plus à le faire savoir.

Michel Soudais  et  Vanina Delmas  • 16 mars 2016 abonné·es
Ces socialistes qui disent non
© Photo : LOIC VENANCE/AFP

« Trop, c’est trop. » En titrant ainsi sa tribune, publiée dans Le Monde du 25 février, Martine Aubry a su traduire l’exaspération de nombreux militants socialistes choqués par l’avant-projet de loi de réforme du code du travail. Le 5 mars 2013, ils n’étaient que trois parlementaires, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj et Pascal Cherki, à s’afficher au départ de la manifestation convoquée par la CGT, FO et Solidaires, contre l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi que le gouvernement s’apprêtait à transposer dans la loi. Le 9 mars dernier, pour la première manifestation contre le projet de réforme du code du travail, ils étaient une quinzaine à se joindre aux manifestants. Et, pour la première fois depuis 2012, les Jeunes Socialistes (MJS) étaient dans la rue. Comme de nombreux militants du parti de la rue de Solférino.

Certes, le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, avait involontairement ouvert les vannes de la contestation en déclarant le 18 février qu’il « aurait du mal à voter [le texte] dans l’état ». On a vu des élus plutôt légitimistes nourrir la bronca en pointant que des dispositions du texte, parmi les plus contestées, étaient réclamées par la droite, à l’instar du député de Tours Jean-Patrick Gille, qui, sur Twitter, a reproduit la page 238 du dernier livre de Nicolas Sarkozy : « L’appréciation de la nécessité économique de la suppression d’un emploi relève à mes yeux de l’employeur. […] Il faudra apprécier la réalité du “motif économique” au niveau de l’entreprise et non du groupe, et plafonner le montant des indemnités en cas d’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, pour renforcer la sécurité juridique de la rupture du contrat de travail. »

Mais c’est surtout à la base que l’incompréhension et le mécontentement se font sentir. En témoigne une floraison de motions adoptées à des majorités proches de l’unanimité dans des sections et des fédérations loin d’être toutes des bastions de la gauche du PS. C’est le cas en Vendée, où le conseil fédéral a demandé, le 24 février, à ses députés de refuser les « nombreuses et inadmissibles régressions » contenues dans le texte. « Je n’ai pas entendu un militant défendre le texte tel qu’il est », raconte Martine Chantecaille, qui y voit le signe du « profond malaise » qui affecte les militants jusqu’ici légitimistes, sonnés par « l’accélération du tempo » du gouvernement. La déchéance de nationalité, en touchant aux principes, les a beaucoup heurtés, explique-t-elle ; avec « le droit du travail, c’est le sens même de notre appartenance à un parti socialiste qui est en cause ».

« L’histoire du socialisme est indissociable de la protection des salariés et de l’émancipation des individus. Jamais la gauche n’a augmenté le temps de travail ni diminué les salaires », rappelle la motion de la fédération du Vaucluse, qui demande au gouvernement de « revoir sa copie ». « Nous nous opposons à ce qu’un texte porté par une majorité de gauche puisse remettre en cause l’essentiel des conquêtes sociales et fragiliser les salariés », écrit la fédération de Haute-Garonne. « La flexibilité sans sécurité ne peut être un projet de société compatible avec les valeurs du progrès social que nous défendons », rappelle le bureau fédéral du Pas-de-Calais, une des plus grosses fédérations de France. « Ce n’est pas en rognant les protections des salariés qu’on gagne la bataille de l’emploi. Nous ne sommes pas au pouvoir pour cela », avertit la fédération des Landes.

« Il n’y a plus personne dans les fédérations pour défendre la ligne gouvernementale, quel que soit le positionnement des uns et des autres dans les congrès », constate Éric Thouzeau, représentant de la gauche du PS en Loire-Atlantique. La fédération de Jean-Marc Ayrault (3 000 adhérents) a elle aussi fait savoir que l’avant-projet de loi n’était « pas acceptable » et qu’une « réforme de gauche ne doit pas proposer des reculs sociaux ». À l’unanimité de son bureau fédéral. « Tout le monde est catastrophé », note Éric Thouzeau, qui explique ce relatif unanimisme par la « crise de confiance » et « l’exaspération de militants qui n’en peuvent plus ».

Une « exaspération générale » que Nadia El-Hajjaji, secrétaire de la section de Mulhouse, estime avoir reflétée quand sa section s’est désolidarisée du gouvernement en lançant sur les réseaux sociaux une vidéo titrée #PasEnMonNom, compilant des témoignages d’adhérents mulhousiens, issus de toutes les motions socialistes. À la suite de cette initiative, la fédération du Bas-Rhin a voté, le 8 mars, une motion demandant le retrait du projet de loi. « Le gouvernement doit comprendre qu’il n’est pas le propriétaire du PS, et que Valls n’est pas représentatif du PS,poursuit-elle. Pour le moment, nous n’avons eu aucune réponse, ni du PS ni du gouvernement, donc nous continuons à nous exprimer sur notre compte Twitter. » Le 22 février, le Premier ministre et Myriam El Khomri, en visite dans un Pôle emploi de la ville, avaient soigneusement évité tous les élus locaux.


De l’autre côté du massif vosgien, la petite section de Saint-Dié-des-Vosges – à peine une centaine d’adhérents – s’est aussi prononcée à l’unanimité moins une abstention contre le projet de loi. Mais dans cette commune touchée par la désindustrialisation, l’avenir du PS est loin d’être assuré. « Beaucoup attendent des inflexions du PS et du gouvernement avant de renouveler leur adhésion, souligne Guillaume Cervantès, membre du conseil fédéral. Les jeunes ne sont qu’une petite dizaine chez nous, mais la plupart ont dit qu’ils ne voudraient pas la reprendre si le projet de loi passe car c’est une loi de droite. »

Se satisferont-ils de la nouvelle mouture du texte présentée lundi par Manuel Valls ? Celle-ci comporte « toujours des régressions majeures et inutiles » déplore le député frondeur Laurent Baumel. « Le compte n’y est toujours pas », estime Frédéric Barbier, député du Doubs. Cet ancien suppléant de Pierre Moscovici ne voit tout simplement « pas de protections pour les salariés » dans le texte. Le secrétaire fédéral des Ardennes est du même avis : « Rien ne change dans la philosophie. C’est un gouvernement de gauche qui écrit avec la main droite », note Florian Glay, jugeant « légitimes la manifestation et la grève ». « S’ils vident le texte de sa substance, ils perdront les potentielles voix de droite acquises, pronostiquait Johann Cesa, conseiller régional et numéro 2 de la fédération de la Loire, avant que Manuel Valls dévoile son compromis. Mais dans tous les cas, les voix de gauche sont perdues, car il n’y a aucune proposition sur la redistribution des richesses ou la réduction du temps du travail. »

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