« Keeper » : Le choix de Mélanie

Une grossesse à 15 ans, perçue dans un couple amoureux et du point de vue du garçon : Guillaume Senez signe un premier long-métrage d’une sensibilité et d’une humanité bouleversantes.

Ingrid Merckx  • 23 mars 2016 abonné·es
« Keeper » : Le choix de Mélanie
© **Keeper**, Guillaume Senez, 1 h 35. Photo : happiness distribution

Max tient le coup depuis le début. Mûr et énigmatique, il encaisse la situation comme il encaisse les réprimandes du coach qui lui fait passer des tests pour intégrer une école de foot professionnel. Il a choisi, il assume. Mais quand il ne trouve pas « Mel », il panique. Elle a quitté la boîte de nuit où ils étaient. Elle est quelque part dehors avec son gros ventre… Cette scène où le jeune homme craque compte parmi les plus bouleversantes de ce film.

Sans jamais flirter avec le sentimentalisme, Keeper fait passer un nombre de sentiments incroyables de l’autre côté de l’écran. Cela tient d’abord au regard que le réalisateur Guillaume Senez porte sur ce couple d’adolescents, la profondeur de leur relation, leurs colères tantôt si mûres tantôt si infantiles. Ils sont filmés de près, davantage côte à côte que face-à-face, en séquences suffisamment longues pour pouvoir contempler leurs sourires, leurs manières de parler, leurs gestes, leurs yeux dans le vague… Et laisser à mille hypothèses le temps de débouler hors champ : qui sont-ils ? Quelles sont leurs pensées ?

Cela tient aussi au balancement que le réalisateur opère entre l’enfant et l’adulte, moins pour montrer l’adolescence comme âge charnière que pour rappeler le mouvement de bascule qui s’opère en chacun devant des décisions cruciales : folie ? Responsabilité ? De ce point de vue, le contraste du duo avec l’enfant, parfois (le petit frère), et les adultes, surtout, est éclairant : les mères (l’une agressive et pragmatique, l’autre douce et rassurante) ; le père et le coach ; les services médico-sociaux (très bienveillants et humains). Cela tient encore à la dualité entre la vie qu’on rêve et la vie réelle, quel que soit son milieu (plutôt populaire pour Mélanie, classe moyenne pour Maxime). Cela tient surtout au fait que cet événement, une grossesse à 15 ans, est perçue au sein d’un couple amoureux à travers les yeux du garçon, sans jamais rogner sur le respect du droit des femmes mais en rappelant sans cesse que le choix de Mélanie impacte aussi son avenir à lui, et ce qu’il ressent. Mélanie (Galatéa Bellugi, ou solaire ou enténébrée) a envie de garder l’enfant quand elle est près de Maxime (Kacey Mottet-Klein, captivant). Dès qu’elle s’éloigne de lui, elle n’en veut plus, hantée par la crainte de reproduire son propre schéma familial. « C’est moi la connerie ? », jette-t-elle à sa mère quand celle-ci lui assène : « OK, tu fais tes choix, mais loin de moi ! Je ne te laisserai pas vivre ce que j’ai vécu ! » Il manque le regard des copains dans ce film où les autres ados passent pour des figurants. Peut-être aussi pour rappeler la solitude de ceux qui se retrouvent parents à 15 ans. Coupés d’un monde. Projetés dans un autre. Un peu OVNI.

Cinéma
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