Le « téléphone arabe » en tournée contre le racisme

À l’occasion de la semaine de lutte contre le racisme, l’association Remembeur a lancé son bus du « Téléphone arabe », pour donner la parole aux témoins de discriminations. Reportage sur la place de la République à Paris.

Célia Coudret  • 24 mars 2016
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Le « téléphone arabe » en tournée contre le racisme

Avec son ballon vert géant flottant au-dessus d’un bus et les couleurs pop des affiches exposées à ciel ouvert, l’installation de l’association Remembeur en partenariat avec Solidarité laïque, attire l’œil des passants. « Attention, travail d’arabe », l’exposition sur les discriminations a déployé ses posters colorés aux messages décalés sur la place de la République dès le 21 mars au soir. Certains visuels sont déjà bien connus, comme « Malbaré – Le racisme tue », reprenant le graphisme des paquets de Malboro. Les uns en discutent entre eux, d’autres prennent des photos pour les partager illico sur les réseaux sociaux.

© Politis

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Des cordons rouges les invitent à pénétrer dans le bus du « Téléphone arabe », comme pour entrer dans un lieu huppé. À l’intérieur, les murs tapissés de tissus noirs créent un « cocon », coupé du monde et de l’espace public. Une première salle y est installée pour les projections de dessins animés humoristiques, pour sensibiliser le public à la question du racisme ordinaire. À l’avant du car, une autre pièce, plus petite, est aménagée pour ceux qui veulent s’exprimer sur les discriminations qu’ils observent dans leur quotidien, ou dont ils sont eux-mêmes victimes. La réalisatrice Nassima Guessoum recueille les témoignages qui pourront nourrir un web documentaire sur la question de l’identité, du racisme et des discriminations.

« On lui disait qu’elle était moche »

« Beaucoup ne veulent pas… c’est compliqué parce que ce sont des personnes blessées à qui on demande de se livrer », confie Delphine, adhérente de l’association Remembeur. Les langues, toutefois, se délient.

« Plus que des discriminations, les gens parlent surtout de racisme, notamment dans le monde du travail », remarque Nassima Guessoum. Une femme, noire de peau, lui a ainsi raconté avoir été recrutée par un organisme de service public qui souhaitait embaucher des personnes « issues de la diversité ». Son chef de service, noire de peau elle aussi, lui a ensuite clairement confié que, à cause de sa couleur, elle devrait travailler quatre fois plus que les autres.

Ou encore cette autre femme qui, à partir du jour où ses collègues ont découvert qu’elle portait le voile en dehors du travail, a subi une salve de propos violents, virant presque au harcèlement moral. « On lui disait qu’elle était moche, qu’elle aurait mieux fait de garder son voile parce que ses cheveux étaient horribles. » Une situation vécue dans un organisme ayant par ailleurs signé la charte de la laïcité. « C’est très violent, et ce sont des pratiques plus courantes qu’on ne croit. »

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À Nanterre, une femme voilée est d’ailleurs montée lui raconter que depuis les attentats, elle recevait de plus en plus d’insultes dans la rue. « Mais ce qui m’a beaucoup surprise, c’est la banalisation de ces actes et propos racistes. Pour ces personnes qui en sont la cible, il y a une assimilation de ces discours, ils en rigolent ou ne réagissent même plus… c’est grave. »

« Pour eux c’est trop tard, ils s’inquiètent pour leurs enfants »

« La non-reconnaissance de leur identité française, c’est ce qui revient systématiquement », constate Nassima Guessoum. Une femme guadeloupéenne et noire de peau se voit souvent demander si elle est française, même lorsqu’elle présente sa carte d’identité, « comme si ses papiers ne suffisaient pas… sachant qu’en plus, la Guadeloupe, c’est une région française ! », rit-elle jaune.

Témoigner de ce racisme subit dans la vie de tous les jours est souvent motivé par une préoccupation pour les enfants. C’est en tout cas ce qu’a pu observer Nassima Guessoum lors de ses derniers échanges : « Ils me disent que pour eux c’est trop tard, mais qu’ils s’inquiètent pour leurs enfants parce que, passé la Coupe du monde de 1998, la situation n’a cessée de se dégrader.

Le public et ceux qui viennent témoigner sont également invités à s’interroger sur les solutions possibles de lutte contre le racisme. Un jeune étudiant, monté avec sa mère dans le bus, a raconté que s’il le subissait moins que cette dernière, c’est parce qu’il y a une certaine convivialité au Petit Nanterre, grâce aux actions des travailleurs sociaux. « Pour lui, les gens sont racistes parce qu’ils ne se connaissent pas, qu’il faut donc se rencontrer, discuter et faire des choses ensemble. Les équipements et les activités proposés par les travailleurs sociaux permettent de communiquer et finalement, de ne pas se taper dessus », raconte la réalisatrice.

Si l’installation de l’association Remembeur reste ludique, elle provoque parfois des réactions échauffées de la part de certains passants, comme à Saint-Denis où les bénévoles se sont fait interpellés par une femme sur « le racisme anti blanc qu’il ne faudrait pas oublier », relate Delphine de l’association Remembeur. Aussitôt raconté ce souvenir que Ali Guessoum, directeur de l’association, s’approche pour faire part d’un échange qu’il vient d’avoir entre deux affiches : « Un homme était en train de me raconter qu’il s’était fait agressé parce qu’il était blanc. Je lui ai dit que son témoignage était très important, il vient d’accepter d’entrer dans le bus. » Le recueil de témoignages ne fait que commencer. Passé Paris et sa banlieue, Remembeur compte poursuivre son expérience à Lille le 24 mars, Tourcoing le 25 mars et Roubaix le 26 mars. L’association vise également le sud, où elle souhaiterait emmener le bus du « Téléphone arabe » à Toulouse, Montpellier mais aussi… Béziers.

Société
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