Hé oh, Le Foll, réveille-toi !

« Hé oh la gauche » est finalement moins une interpellation qu’une tentative, pour ceux qui le lancent, de se requalifier en hâte au sein de la gauche.

Denis Sieffert  • 27 avril 2016
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Hé oh, Le Foll, réveille-toi !
© Photo: Michel Soudais

La collision des actualités prêterait à sourire si elle n’était révélatrice d’une profonde crise politique et d’un malaise démocratique. Voilà que les amis du président de la République appellent la gauche à se réveiller. Et cela au moment même où les Nuits debout prospèrent et embellissent dans toutes les villes, où les salariés de la SNCF sont en grève, où les intermittents du spectacle occupent l’Odéon, alors que les centrales syndicales préparent la grande mobilisation de jeudi contre la loi El Khomri et qu’un peu partout des conflits locaux ou sectoriels se multiplient dans le pays. En vérité, jamais depuis quatre ans la gauche n’a paru plus éveillée que ces jours-ci !

Nos ministres n’ont d’ailleurs pas trop intérêt à ce qu’elle se réveille davantage ! Visiblement, lorsqu’il lance son « Hé oh la gauche ! », un peu comme s’il taquinait un vieux pote assoupi, Stéphane Le Foll, le saint Sébastien du hollandisme, ne songe pas à tous ces manifestants. Ni même à ceux qui ne sont pas dans la rue mais qui n’en pensent pas moins. Il les ignore, et c’est bien le problème. Car elle est pourtant là, sous ses yeux, la gauche vivante, dans les manifestations spontanées, dans les cortèges syndicaux, ou avec les jeunes (et moins jeunes) de Nuit Debout, à ce point éveillés qu’ils ne se couchent plus… Si ce n’est pas ça, la gauche, alors qu’est-ce que c’est ? Croit-on vraiment que ce sont les cinq cents happy few réunis un lundi soir dans un amphi de fac de médecine pour entendre un monotone panégyrique gouvernemental ? On se demande quel communicant zélé a eu l’idée saugrenue de filer ainsi la métaphore du sommeil.

Nos concitoyens ne dorment pas ; ils sont en colère. Ou désabusés. Ils n’ont besoin ni de clairon, ni de tocsin, ni de sermons culpabilisateurs, mais d’une autre politique. Convenons, hélas, que c’est un peu tard. On sent bien ici ou là que le discours se gauchit, mais personne n’est dupe. Nous entrons en campagne. Et les amis de François Hollande ne le font pas de la façon la plus habile. Car ce « Hé oh la gauche » est finalement moins une interpellation qu’une tentative, pour ceux qui le lancent, de se requalifier en hâte au sein de la gauche. À rebours de tout ce qui a été dit et fait depuis le début du quinquennat.

Du coup, on comprend bien pourquoi Emmanuel Macron n’a pas été invité à la soirée de la fac de médecine. Qu’il agace par son omniprésence médiatique, qu’il suscite à Matignon ou à l’Élysée craintes et jalousies est finalement secondaire. L’essentiel est ailleurs. Macron a un défaut : il dit la vérité de la politique gouvernementale. Libéral sans complexes, il embarrasse les libéraux complexés de l’équipe de Manuel Valls. Au fond, il ne fait pourtant que prendre acte de quatre années d’effacement du clivage gauche-droite, mais il est un peu comme un fils politique de François Hollande qui aurait oublié les bonnes manières. Emmanuel Macron ne dit pas autre chose que ses collègues. Il le dit plus crûment : le monde ne se divise plus entre droite et gauche, mais entre « progressistes » et « conservateurs ». On voit bien vers quoi « progressent » ses « progressistes », et ce que veulent « conserver » ses « conservateurs ». Il suffit de lire la loi El Khomri pour être édifié.

Son discours ne diffère en rien du « réformisme » de Manuel Valls, mais il est jugé inopportun au moment où le mot « gauche » revient à la mode. Dans ce contexte on ne peut plus délicat, François Hollande a au moins une occasion de briller. Il pourrait par exemple adopter une position claire et définitive en se retirant du nouveau cycle de négociations qui vient de s’ouvrir sur le Tafta, le traité de libre-échange transatlantique qui fait la part si belle aux multinationales.

Tout nous révulse dans ce projet. À commencer par l’abolition des barrières « non tarifaires », comme il est dit pudiquement, c’est-à-dire des normes sociales, environnementales, sanitaires [^1]. Mais aussi et surtout la création de juridictions privées qui auraient le primat sur les États. Un terrible coup porté à la démocratie. On a cru comprendre que la France allait s’opposer à ce schmilblick. Le secrétaire d’État au Commerce extérieur, Matthias Fekl, l’a laissé entendre dimanche sur France Inter. Las, lundi à Hanovre, en face de Barack Obama et d’Angela Merkel, François Hollande a préféré éviter le sujet. À quoi bon attendre, pourtant ? Il n’y a pas grand péril quand son collègue allemand Sigmar Gabriel lui-même, ministre social-démocrate dans le gouvernement de Mme Merkel, refuse d’endosser un texte dont il dit qu’il se résume en une devise : « Achetez américain ! » Un retrait de la France de cette négociation ne propulserait peut-être pas François Hollande au sommet des sondages. La cause est désespérée. Mais ce serait toujours mieux que les « Hé oh la gauche ! » un peu pathétiques de ses partisans.

[^1] Voir notre article, p. 11.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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