Frappé par le Medef

Arrêté lors d’une mobilisation devant le Medef à Paris, Loïc Canitrot est sorti de garde-à-vue ce matin. Nouvelle victime de la répression qui s’abat sur le mouvement social, il a appelé à poursuivre la lutte contre la loi travail, l’état d’urgence et pour le régime des intermittents.

Ingrid Merckx  • 9 juin 2016
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Frappé par le Medef
© Ingrid Mercks / POLITIS

Un intermittent frappé par le chef de la sécurité du Medef dans les locaux du syndicat des patrons en pleine négociation sur l’assurance-chômage : on pourrait se dire que le scénariste a forcé le trait. Si ce n’était vrai.

Loïc Canitrot, membre de la compagnie de théâtre engagée Jolie Môme, est sorti de 48 heures de garde-à-vue en fin de matinée. Il avait été arrêté mardi 7 juin à l’occasion d’un rassemblement organisé par les intermittents et précaires devant le siège du Medef pour protester contre l’opposition des patrons et de la CFDT à l’accord trouvé par les employeurs et salariés du spectacle le 28 avril. Les intermittents demandent en effet à ce que cet accord inédit du secteur trouve sa place dans les discussions qui se tiennent actuellement dans les locaux du Medef.

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Le 7 juin, des intermittents sont rentrés dans le bâtiment, « par la porte, ce qui a dû énerver la sécurité, a témoigné une militante présente ce jour-là. Mais de manière tout à fait non violente. » Loïc Canitrot, qui s’était interposé entre un agent « méprisant et insultant » et une jeune femme qui filmait la scène, a été conduit à l’intérieur. Il a ensuite été frappé dans les parties génitales par un homme qu’il a pris pour un agent de la sécurité et qui n’était autre que le chef de la sécurité du Medef. Lequel a porté plainte. « Pour couvrir son manque de sang-froid ? », a lancé Loïc Canitrot lors d’une conférence de presse organisée à 11h30 devant le Palais de Justice de Paris.

La garde à vue avilissante

« Lorsque j’ai été arrêté, je n’ai cessé de répéter que c’est moi qui me plaignais d’avoir été frappé, a-t-il raconté. Mais les policiers m’ont répondu les uns après les autres : « Ça n’est pas à nous de juger…  » ». En pantalon noir à bretelles sous un t-shirt noir avec l’étoile rouge de Jolie Môme, il a confié à quel point il avait trouvé sa première expérience de garde-à-vue « avilissante» : saleté voire insalubrité des locaux, robinets qui ne fonctionnent pas, lacets et bretelles retirés, permission « infantilisante » pour boire un verre d’eau ou aller aux toilettes, couvertures « qu’on n’ose même pas toucher », dépôt encore plus crasseux que les commissariats de quartier où il a été transféré pendant deux jours afin de déjouer les soutiens qui tentaient de retrouver chaque fois sa trace. Il n’a été emmené passer une échographie que le soir de son arrestation, à l’Hôtel Dieu. « Tout va bien, je suis en bonne santé », a-t-il balayé.

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Empreintes digitales, photos, relevé ADN… « Le pire, en garde-à-vue, c’est qu’on ne sait pas ce qui va se passer, a t-il également confié. On attend qu’on nous informe. On ne sait rien. Et puis, à un moment, on est présenté, sale, pas douché, pas rasé, devant un commissaire, confronté au plaignant (le chef de sécurité du Medef) qui est tout propre sur lui. Au niveau du regard du commissaire, déjà, on n’est pas à égalité. Idem pour le passage devant le procureur… », a-t-il poursuivi en fustigeant l’irrespect des droits de la personne.

Quand on lui a annoncé que le procès n’aurait pas lieu immédiatement mais le 5 août, « je n’ai pas demandé mon reste », a-t-il souri en évoquant tous les militants aujourd’hui victime de répression syndicale. Comme un certain Antoine, militant CGT arrêté à Lille alors qu’il portait un drapeau lors d’une mobilisation, en détention préventive depuis le 17 mai dans l’attente de son procès.

Une incarnation de la convergence des luttes

Loïc Canitrot, grand gaillard chaleureux qui parle d’une voix douce, et serait « plutôt du genre à calmer les excités qu’à exciter les calmes », a témoigné Serge Halimi du Monde Diplomatique, est devenu un symbole de l’opposition à la loi travail : intermittent, militant syndical, membre de la Commission Accueil et Sérénité de Nuit Debout, il est une incarnation de la convergence des luttes. Apprécié de tous : CGT Spectacle, Dal, Solidaires, Lutte ouvrière, Parti de gauche, Coordination des Intermittents et précaires, CNT, élus de Saint-Denis (où il travaille) et de Saint-Ouen (où il habite)…

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Près de 350 personnes s’étaient rassemblées pour soutenir cette nouvelle victime d’une répression qui, après les « huit de Goodyear »_ et « les salariés de la chemise arrachée d’Air France »_, s’accroît le mouvement social depuis le début de la présidence de François Hollande. « Il suffit d’être présent dans une manifestation aujourd’hui pour redouter une forme de répression ou de violence policières », a déploré Éric Coquerel du Parti de gauche en évoquant Rémi Fraisse et Romain D. devant une assemblée très remontée contre le Medef, la CFDT et les médias _« dominants ». Ces derniers sont accusés de faire de la « propagande » pour la loi travail en « opposant les professionnels entre eux », en s’étonnant de la poursuite de la grève quand ce sont des accords d’entreprises qui ont été signés et en « minimisant les mobilisations » toujours en cours.

« Continuons ce mouvement qui dure depuis trois mois, ça n’est pas le moment de lâcher ! », a encouragé Olivier Besancenot du NPA. « Contre la loi travail, contre l’État d’urgence et pour que l’accord du secteur soit pris en compte par le Medef et la CFDT », a résumé Loïc Canitrot en donnant rendez-vous le 5 août pour son procès, et le 16 juin pour la mobilisation planifiée à l’occasion de l’ultime séance de négociations à l’Unedic.

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