« La Forêt de Quinconces », de Grégoire Leprince-Ringuet : Le jeune homme et les sortilèges

Un premier film aux dialogues versifiés qui tombe sur la planète cinéma comme un astéroïde.

Christophe Kantcheff  • 22 juin 2016 abonné·es
« La Forêt de Quinconces », de Grégoire Leprince-Ringuet : Le jeune homme et les sortilèges
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Deux amoureux, Paul (Grégoire Leprince-Ringuet) et Ondine (Amandine Truffy), badinent dans un parc. Soudain, le garçon entraîne la jeune fille dans une course en la prenant par le bras, mais il va trop vite, trop fort. Ondine trébuche. Paul est toujours excessif, lui reproche-t-elle.

C’est pourtant la qualité de La Forêt de Quinconces, le premier film de Grégoire Leprince-Ringuet, qui tombe sur la planète cinéma comme un astéroïde. Un film qui va bien au-delà de la production courante : les dialogues y sont versifiés, mais pas systématiquement, de même que son cadre change de format au gré du registre des images (« réalistes », fantasmées…). Il va aussi bien au-delà de ce qu’on attend d’une histoire d’amour raisonnablement doloriste. Ondine quitte Paul, qui veut en faire voir à Camille (Pauline Caupenne), qui, amoureuse, tente de le garder pour elle. Un trio proprement infernal. Car, ici, on se jette des sorts, on veut se posséder, on se venge en versant le sang. Les duels ne sont pas de cape et d’épée, mais des confrontations verbales, des luttes en alexandrins. L’amour n’est pas un jeu mais un pacte brûlant.

La Forêt de Quinconces est un geste cinématographique d’une audace incroyable, d’un tempérament flamboyant. Il aspire le spectateur dans un spectacle quasi opératique, puissamment musical, avec cette langue virevoltante qui sort tantôt ses dagues, tantôt ses caresses. Fondé sur des contrastes (la blonde Ondine, la brune Camille…), le film télescope un espace-temps parallèle où, au coin d’une rue, on peut vendre son âme au diable – hypnotique Thierry Hancisse – et un présent ancré dans les décors urbains de l’Est parisien. Même la musique du film, signée par Clément Doumic, membre du talentueux groupe Feu Chatterton ! (tout comme Arthur Teboul, qui apparaît dans une séquence où il dit un de ses textes), déploie une élégance contemporaine au parfum vénéneux.

Le romantisme noir de La Forêt de Quinconces, digne de Victor Hugo et de Sheridan Le Fanu, à rebours de notre époque de peur et de cynisme, pénètre le spectateur jusqu’aux tréfonds de son âme. Il en sort ensorcelé, sous le charme insinuant d’une œuvre de jeunesse d’une grande maturité.

Cinéma
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