Maladie de Lyme : Psychose ou scandale sanitaire ?

Les infections virales et bactériennes transmises par les tiques se développent. Pourtant, de nombreux malades échappent encore au diagnostic et sont condamnés à l’errance médicale.

Ingrid Merckx  • 29 juin 2016 abonné·es
Maladie de Lyme : Psychose ou scandale sanitaire ?
© Philippe Roy/Aurimages/AFP

Juin 2010. Anne, médecin à la retraite, tond sa pelouse à Giverny (Eure), en maillot de bain. Elle sent une piqûre dans le dos. Le soir, elle est prise de nausées et de vomissements. Le lendemain, de vertiges. En s’auscultant, elle découvre une trace entourée d’un anneau rouge qui ne lui laisse aucun doute : c’est « l’érythème migrant », caractéristique d’une morsure de tique infectée par une, voire plusieurs bactéries de la famille des Borrelia. Son médecin lui prescrit des antibiotiques. Elle en prendra à intervalles réguliers pendant six mois. Elle sera malade pendant trois ans : « La maladie de Lyme, diagnostiquée à la suite de deux tests – Elisa puis Western-Blot – attaque le cerveau, le cœur et les articulations. Traitée rapidement, j’ai quand même souffert de pertes de mémoire, de problèmes cardiaques, d’arthrites terribles. Imaginez les gens chez qui l’on met des années à diagnostiquer une infection ! Les tiques, on en a toujours connu à la campagne, sur notre peau, sur nos chiens… Mais la maladie de Lyme n’avait cours qu’aux États-Unis, en Europe de l’Est, en Allemagne… »

Aujourd’hui, elle est présente dans 65 pays, et pas seulement dans les sous-bois mais dans les prairies, les jardins, les squares, les pelouses en ville… Août 2015, Cécile est en vacances en Suède : « C’était l’hystérie autour des tiques. On disait qu’elles étaient très nombreuses, que beaucoup étaient infectées. Qu’il fallait se protéger avec des vêtements longs et des chaussettes. Mon mari en a trouvé deux sur lui. On les a retirées avec un tire-tique. On a désinfecté et surveillé… Là-bas, la hantise, c’était l’encéphalite… » La méningo-encéphalite à tiques (MET) est une maladie d’origine virale, et non bactérienne comme la borréliose, affectant le système nerveux central et pour laquelle il n’existe pas de traitement, explique France Lyme, association de lutte contre les maladies vectorielles à tiques. Le 18 juin 2016, Matthias Lacoste, 33 ans, habitant en Ardèche, démarre une grève de la faim pour protester contre la non-reconnaissance de la forme chronique de la maladie de Lyme dont il souffre. « Les autorités médicales nous mentent, déclare-t-il dans une vidéo diffusée sur Internet. Une épidémie a commencé il y a plus de trente ans. Les Allemands annoncent 1,5 million de malades infectés par la maladie de Lyme et, comme les États-Unis, 300 000 nouveaux cas par an quand, en France, on veut nous faire croire qu’il n’y a que 27 000 nouveaux cas par an et que cela se soigne facilement… » Découverte en 1977, aux États-Unis, dans la ville de Lyme, et faisant l’objet de dispositions de l’OMS depuis 2006, cette maladie s’étend. « Pour des raisons encore mal comprises, elle est en plein développement, notamment en Europe… », précise une proposition de loi du 14 octobre 2014, portée par l’UMP et rejetée par le gouvernement Hollande. Le réchauffement climatique est incriminé. Lyme : nouvelle psychose ou prochain scandale sanitaire ?

« Le ministère de la Santé répète qu’il s’agit d’une “maladie rare”. Les médecins sont ainsi incités à concentrer leur attention ailleurs, la plupart n’imaginant pas une seconde le nombre de malades de Lyme qui passent sous leurs yeux », alertent Chantal Perrin et Roger Lenglet dans leur enquête L’Affaire de la maladie de Lyme (1).

Pourquoi « affaire » ? Les autorités sanitaires sous-estiment le nombre de personnes infectées. Et un grand nombre de malades non diagnostiqués sont condamnés à l’errance médicale, ce qu’a pointé le Haut Conseil à la santé publique (HCSP) dans un rapport du 28 mars 2014. La forme chronique de la maladie n’est pas reconnue. Et les tests utilisés pour détecter une infection ne sont pas efficaces. En 2009, Viviane Schaller, biologiste à Strasbourg, les a rendus sensibles à plusieurs souches de bactéries circulant en Europe quand le test Elisa, sous licence BioMérieux, n’était calibré que pour la souche américaine. Considéré comme référence par plusieurs médecins, son laboratoire a été fermé en 2014 pour « escroquerie » à la Caisse primaire d’assurance maladie. Histoire qu’elle raconte dans Maladie de Lyme. L’épidémie qu’on vous cache (2), et qui pourrait connaître de nouveaux rebondissements avec la tenue d’un procès en appel à Colmar en octobre.

« Elisa laisse de côté 50 % des malades », prévient Marie-Claude Perrin, présidente de Lyme sans frontières. L’association, qui dénonce un « déni criminel des autorités sanitaires », a poussé près de 150 malades à tenter une action groupée en justice contre les laboratoires commercialisant les tests. Le 2 janvier 2012, l’Agence française de sécurité sanitaire des médicaments (Afssaps) avait interdit le Tic Tox, répulsif et désinfectant naturel composé d’huiles essentielles mis au point dans les années 1990 par Bernard Christophe, diplômé d’État en pharmacie, et qui n’avait jamais fait l’objet de plainte. Chantal Perrin et Roger Lenglet évoquent une « chasse aux sorcières » contre les « lanceurs d’alerte ».

La « voix officielle » tempère. Responsable du laboratoire associé du Centre national de référence des borrélioses, Benoît Jaulhac estime que les tests ne sont pas toujours utilisés « à bon escient », car demandés trop tôt, au stade de l’érythème migrant. Cependant que les antibiotiques sont prescrits trop tard. Selon lui, l’augmentation du nombre de cas serait d’abord due à une amélioration des méthodes de diagnostic. Pour le réseau Sentinelles, il n’y aurait pas eu d’augmentation significative en France entre 2009 et 2011. Mais tout de même une progression par rapport aux années 1990.

Alors, qu’est-ce qui freine une meilleure prise en compte de cette maladie ? « La découverte de l’organisme qui provoque la borréliose de Lyme, en 1981, a déclenché une vraie ruée vers l’or », relatent Chantal Perrin et Roger Lenglet. Deux visions se sont opposées. Celle qui a longtemps prédominé via l’Infectious Diseases Society of America Lyme (IDSA) défend l’existence d’un syndrome post-Lyme contredisant une forme chronique de la maladie. « Ce que ne veulent ni les autorités ni les assurances maladies, c’est l’apparition d’une nouvelle entité, d’une nouvelle maladie chronique du type diabète ou sida », relatent les deux enquêteurs. Une journaliste américaine a également mis en évidence les conflits d’intérêts liant les partisans du protocole officiel et les sociétés qui commercialisent les tests biologiques.

Reste que la plupart des protocoles en cours dans le monde découlent du protocole officiel américain. Y compris en France, où la conférence de consensus qui s’est tenue sur la maladie de Lyme, en mars 2006, se serait bornée à traduire le « Guidelines » de l’IDSA. La proposition de loi rejetée à l’Assemblée réclamait le lancement d’un plan national. En lieu et place de quoi, un nouvel amendement au code de la santé adopté le 10 avril 2015 prévoit une prise en compte des « maladies vectorielles à tiques » dans les schémas régionaux de santé publique. Insuffisant, tancent les associations de malades et les Lyme Doctors associés. Pour le professeur Christian Perronne, chef de service en infectiologie à l’hôpital Raymond-Poincarré de Garches (95), il y aurait « des centaines de milliers de gens en grande souffrance en France, rejetées par le système médical, et des millions en Europe ». Dans le sud du Québec, environ 10 % des tiques étaient infectées en 2012. Et 20 % un an plus tard.

Dans 70 % des cas, les personnes n’auraient pas de souvenir de piqûre, avertit aussi Christian Perronne. L’érythème migrant n’apparaît que dans un cas sur deux. Les tiques ne sont pas visibles quand elles sont à l’état de larves ou de nymphes. Et elles peuvent piquer dans des endroits cachés comme le cuir chevelu ou la raie des fesses. Ainsi, 80 % des signes de cette maladie ne se verraient pas. Car, comme la syphilis, Lyme imite d’autres maladies : grippe, troubles cardiaques, douleurs musculaires, troubles neurologiques, grande fatigue… De nombreux malades sont donc renvoyés à des troubles psychosomatiques. En outre, la recherche, notamment sur les modes de transmission : par voies sexuelle, sanguine, intra-utérine, ou via l’allaitement, est encore balbutiante… Les médecins sont donc en première ligne, mais tous ne sont pas aux aguets.

Société Santé
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