Michel Offerlé : « Gattaz ne veut pas s’opposer frontalement au gouvernement »

Alors que la mobilisation sociale prend de l’ampleur, le Medef se fait plus virulent. A quel jeu joue Pierre Gattaz ? Politis a interviewé Michel Offerlé, spécialiste du Medef.

Pauline Graulle  • 6 juin 2016
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Michel Offerlé : « Gattaz ne veut pas s’opposer frontalement au gouvernement »
© Photo : THOMAS SAMSON / AFP.

Politis : La semaine dernière, Pierre Gattaz a traité les syndicats de la CGT de « terroristes ». Mi-avril, le Medef menaçait de quitter les négociations sur l’assurance-chômage si la Loi El Khomri passait en l’état… Comment interpréter que le ton monte ainsi ?

Michel Offerlé est professeur émérite à l’ENS. Il a publié en 2013 Les patrons des patrons. Histoire du Medef, O. Jacob. L’ouvrage collectif qu’il a dirigé, Patrons de France, paraîtra bientôt aux éditions La Découverte.
Michel Offerlé : Gattaz est revenu depuis sur le label « terroristes » pour ne maintenir que celui de voyous concernant le comportement de « voyous » des syndicalistes qui bloquent les raffineries. Le procédé n’est pas rare chez le président du Medef qui, depuis son élection en 2013, alterne, sur nombre de dossiers, les formules à l’emporte pièces et un ton plus patelin. En juillet 2014, il avait ainsi déclaré que la situation économique de la France était « dans un état catastrophique », avant d’affirmer en septembre que notre « modèle social a vécu ». Pourtant, durant cet automne de mobilisation patronale, il avait limité les formes de la contestation patronale. Il faut aussi savoir que Pierre Gattaz n’a jamais été franchement à son aise avec le versant social de ses activités présidentielles. Il connaît mal les syndicats, a une connaissance limitée de l’histoire du syndicalisme, et a toujours pensé que la gestion sociale en entreprise pouvait se passer dans des rapports de face-à-face. Enfin, il pense que le Medef, pour reprendre les catégories ayant cours dans l’organisation, devait être d’abord un lieu où l’on discute « économie ». Les conseils exécutifs consacrés au « social » l’ennuient – et on ne parle même pas du « sociétal », promu par Laurence Parisot, qui n’est plus à l’ordre du jour au Medef. Pourtant les faits sont têtus et dans le quotidien du Medef, le social est envahissant.

Quelle est la stratégie du Medef aujourd’hui ?

Malgré le mot d’ordre de la campagne de Pierre Gattaz en 2013 – « un Medef de combat » -, la ligne de la direction n’est pas de s’opposer frontalement au gouvernement. Depuis trois ans, il s’agit plutôt de tenir compte et aussi d’instrumentaliser des courants patronaux contradictoires : ceux qui veulent en découdre en insistant sur la colère des « petits patrons » ; et ceux qui n’ont pas perdu l’espoir, malgré la faiblesse de l’exécutif, d’amorcer un « compromis historique » entre le monde des entreprises et une gauche sociale-libéralisée. Le Medef est désormais en compétition ouverte avec la CGPME sur nombre de dossiers. Outre ces querelles médiatisées, le Medef – qui est une confédération de fédérations – doit aussi veiller à son équilibre interne. Si peu de choses filtrent, on sait que les tensions entre composantes existent et que certains conseils exécutifs sont animés, voire houleux. L’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), qui reste une des fédérations-clés de l’organisation, s’est complètement renouvelée dans ses dirigeants et permanents (y compris les spécialistes du social). Il faudra en suivre les conséquences internes et externes.

Quelle est l’influence du Medef sur le gouvernement ?

La question de l’influence est une fausse question. Le gouvernement et les ministères sont en lien avec de multiples interlocuteurs, grands patrons, responsables de fédérations sectorielles, du Medef et de l’Afep (Association française des entreprises privées qui a une sorte de droit de regard sur le Medef). C’est une constante de la prise de décision. Le problème est celui de l’affichage des proximités. Former publiquement un couple Medef-gouvernement est toujours un chiffon rouge à dénier. La surenchère de Pierre Gattaz au sujet de la CGT est sans doute, sur ce terrain, politiquement « maladroite ». Si les responsables du Medef cherchent malgré tout à tirer profit des avancées qu’il pourrait obtenir de l’actuel gouvernement socialiste, ils misent désormais sans doute davantage sur un « portage politique » de leurs revendications. C’est pourquoi ils s’adressent maintenant plus particulièrement aux divers candidats de la primaire à droite qui devront aussi faire la preuve, aux yeux de l’organisation patronale, de leur volonté de faire vraiment bouger les lignes en leur faveur. Chose qui a été mise au passif du quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Au fond, quelle est la représentativité du Medef ?

La question de la représentativité patronale est hautement conflictuelle, car elle peut remettre en cause le monopole, ou du moins le droit de veto, du Medef sur tout ce qui touche aux négociations sociales et aux paritarismes. Ce sont des postes, des crédits, et du droit à la préséance et à la parole qui sont en jeu. Si le Medef représente bien les grands secteurs de l’économie et les grandes entreprises, il est loin de représenter tous les patrons. Les chiffres habituels d’adhérents qui sont donnés par l’ensemble des organisations patronales sont très surévalués. Le Medef annonce 750 000 « adhérents ». Or il n’en compte sans doute pas plus de 250 ou 300 000, et en comptant les « adhésions croisées » puisque contrairement aux syndicats de salariés, les entreprises adhérent – souvent sans le savoir – par leurs fédérations, au Medef et à la CGPME, voire aussi à l’Union professionnelle artisanale (UPA). La querelle actuelle de la représentativité peut se résumer à l’alternative : une entreprise = une voix (qui est la position de l’UPA) ou des voix proportionnées au nombre de salariés de l’entreprise (position du Medef à laquelle s’est ralliée, pour des raisons de survie financière la CGPME). Ces problèmes trouveront ou non leur solution dans l’adoption ou le rejet de la loi El Khomri, dans son article 20, qui prévoit en l’état actuel une pondération 80% pour le nombre de salariés, 20% pour le nombre d’entreprises.

Économie
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