« La Voix du Nord » n’a pas dit son dernier mot

Le plan social annoncé au quotidien régional met cruellement en lumière les contradictions entre le gouvernement et sa loi travail, mais aussi entre l’économie ultralibérale et celle de la presse.

Politis  • 18 janvier 2017
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« La Voix du Nord » n’a pas dit son dernier mot
© Philippe HUGUEN / AFP

Une semaine avant l’annonce officielle du plan social en comité d’entreprise, le coup de massue a percuté les 700 salariés de La Voix du Nord un mardi soir devant leur ordinateur ou un mercredi matin autour de la photocopieuse. Sur le verre lisse balayé par le rai de lumière, moderne guillotine, un article qui leur apprend l’ampleur du massacre : leur direction a pour objectif de supprimer 178 postes en CDI, soit 25 % des effectifs. En ouvrant un plan de départs volontaires, mais qui n’exclut nullement les licenciements économiques secs.

Les cordonniers sont aussi mal chaussés que les autres. Combien d’employés ont découvert dans la presse leur dégraissage, voire la fermeture de leur entreprise ? Dans le monde médiatique d’aujourd’hui, notamment sur Internet, on va plus vite que la musique. C’est une contradiction dans une société qui regorge d’informations. Ce que met d’abord en lumière le plan dit de sauvegarde de l’emploi arrêté par l’actionnaire belge Rossel et les dirigeants de La Voix, c’est la contradiction entre un gouvernement socialiste et la loi qui favorise l’économie libérale, improprement baptisée loi travail.

Madame El Khomri pousse des cris d’orfraie : « La loi travail n’introduit aucun nouveau motif de licenciement économique, elle ne fait que reprendre la jurisprudence déjà existante [^1]_. »_ Ce que ne dit pas Madame la ministre, c’est que les difficultés économiques invoquées pour justifier un licenciement étaient laissées à l’appréciation d’un juge du fond. En introduisant la jurisprudence dans le code du travail, la loi travail a défini des critères, dont la fameuse baisse du chiffre d’affaires sur plusieurs trimestres, que connaît La Voix du Nord. La pièce de monnaie a deux faces. Une face noire, celle décrite, et une face blanche : plusieurs exercices de suite largement bénéficiaires, un excédent brut d’exploitation à faire pâlir les patrons de tous les autres titres de la PQR… Satisfaisons-nous du fait que la ministre affirme être attentive à notre situation. 178 personnes poussées vers la porte de sortie, ça mérite bien une petite attention…

La deuxième contradiction oppose l’économie ultralibérale et l’économie de la presse. La première vise, dans notre cas, à dégager une rentabilité suffisante (ce qui est toujours largement le cas) pour permettre à la SA Voix du Nord, qui joue un rôle de holding, de racheter d’autres titres pour le compte de son actionnaire principal Rossel (le second étant le Crédit agricole). C’est la logique de l’obésité, pour réaliser du profit, mutualiser les moyens, rationaliser la production et simplement survivre.

L’économie de la presse quotidienne reposait sur son chiffre d’affaires publicitaire, sur ses ventes de journaux papier, en baisse depuis très longtemps mais encore appréciables, et sur les aides de l’État. Internet a tout bouleversé. Le Web a aspiré les petites annonces ; la publicité, déjà grandement captée par l’audiovisuel, a engraissé Google et consorts. Malheureusement, une information de qualité, rigoureuse et recoupée, née de la présence régulière et tenace sur le terrain, coûte cher en moyens humains. Quand nombre de sites et les réseaux sociaux se contentent d’à-peu-près et de rectification de la vérité.

L’intersyndicale SNJ-SNJ CGT-Filpac CGT-CFDT va se battre avec les salariés, dans les mois qui viennent, pour résoudre ces contradictions, éviter les déchirements et les drames humains qu’elles provoquent. Pour les emplois, parce que le projet numérique de la direction ne garantit pas l’avenir, parce que sa coupe à la hache dans la masse salariale ne se justifie pas et porte les risques d’un effondrement, parce que la mission de l’information doit être préservée, et que l’État, sous toutes ses formes, doit y concourir.

[^1] Dans sa lettre ouverte adressée à Benoît Hamon le 13 janvier.

Intersyndicale SNJ-CGT, CFDT, SNJ et Filpac de La Voix du Nord.

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