Obama : le temps des regrets

Le bilan du président démocrate, qui laissera le pouvoir à Donald Trump le 20 janvier, a été largement contrarié par la longue hostilité du Congrès.

Alexis Buisson  • 11 janvier 2017 abonné·es
Obama : le temps des regrets
© Emmanuel Dunand / AFP

Jusqu’au bout, alors que sa présidence touche à son terme, Barack Obama n’aura pas ménagé sa peine pour promouvoir son bilan. Interviews, discours d’adieu à Chicago, sa ville d’adoption, mémos envoyés aux membres de son cabinet pour les exhorter à partager leurs réussites, tweets et posts sur Facebook… L’élection surprise de Donald Trump n’est sans doute pas étrangère à cette profusion de messages, destinés aussi à mettre la pression sur le milliardaire, qui veut revenir sur nombre de mesures prises ces huit dernières années.

Le peuple américain est du côté du -Démocrate. Barack Obama terminera son second mandat avec un taux d’approbation de 58 %, talonnant Bill Clinton (61 %) et Ronald Reagan (63 %) et loin devant George W. Bush. Quand il quittera la Maison Blanche, le 20 janvier, il laissera un pays très différent de celui qu’il a trouvé le 20 janvier 2009. À l’époque, la crise économique venait d’éclater. Le chômage s’élevait à 7,8 % (il montera à 9,8 % en 2010). Il y avait 141 300 militaires américains en Irak et 38 350 en Afghanistan. Et le PIB atteignait 14 420 milliards de dollars. Huit ans plus tard, le chômage est retombé à 4,7 %. Le PIB a gagné 4 000 milliards de dollars. Et les effectifs américains en Irak et en Afghanistan ne sont plus que de 8 730 et 3 550. « À bien des égards, notre pays est plus fort que quand nous avons commencé – une situation que je suis fier de laisser à mon successeur », s’est félicité le sortant dans une lettre ouverte aux Américains, le 5 janvier.

Barack Obama aura été le président d’un pays en pleine mutation. Pendant qu’il était à la Maison Blanche, la part des Hispaniques au sein de l’électorat a battu de nouveaux records. Et les « millenials » (18-35 ans) sont depuis 2015 plus nombreux que les baby–boomers de l’après-guerre. Dans le même temps, -l’Amérique n’a jamais été aussi polarisée politiquement, conséquence des bouleversements démographiques et économiques de ces dernières années, mais aussi de la balkanisation de l’opinion, alimentée par les réseaux sociaux. Selon l’institut Pew, 27 % des Démocrates et 36 % des Républicains considéraient en 2014 le parti adverse comme « une menace pour le bien-être du pays ». Tandis que les niveaux d’opinions « très défavorables » envers l’autre camp avaient plus que doublé en dix ans. Ces chiffres sont certainement beaucoup plus élevés aujourd’hui, estiment les chercheurs.

Le climat de défiance s’est fait sentir dès le début de la présidence Obama. Au formidable élan autour du « changement » promis en 2008 par le candidat a succédé la montée en puissance du Tea Party, en réaction à l’ambitieuse réforme du système de santé. Cela a précipité la défaite démocrate aux élections de mi-mandat de 2010, coup dur majeur pour Barack Obama, plongé en cohabitation. Sur la gauche aussi, le Président s’est retrouvé décontenancé par des mouvements de contestation : Occupy Wall Street, qui visait à dénoncer l’aggravation des inégalités entre riches et pauvres – un processus entamé bien avant Obama –, et Black Lives Matter, qui a vu le jour en réponse à plusieurs cas de violence policière par des officiers blancs contre des Noirs. Ce mouvement a rappelé que, malgré l’élection d’un président noir, les États-Unis encore du chemin à faire.

Sur le plan législatif, la cohabitation avec le Parti républicain a été dure. Elle a poussé le Président à légiférer par ordonnances dans le domaine de la protection de l’environnement, afin de court-circuiter le Congrès. Ce qui lui a valu d’être taxé d’autoritarisme, voire présenté comme « dictatorial » par ses détracteurs. Sur la très attendue réforme du système d’immigration, et la promesse de régulariser une partie des onze millions de sans-papiers présents sur le sol américain, Barack Obama n’a pas eu la latitude qu’il aurait, dit-il, aimé avoir. Pis, loin d’être perçu comme un réformateur dans ce domaine, il aura plutôt été le président des expulsions. Son administration a, en effet, expulsé un nombre record de personnes (plus de 2,5 millions entre 2009 et 2015).

Le plus grand échec de Barack Obama restera certainement son incapacité à faire évoluer la réglementation sur les armes à feu, malgré un second mandat émaillé de fusillades et de tragédies comme la tuerie de Newtown : « Le pire jour de ma présidence », avait-il avoué. Il n’a pas hésité à montrer sa frustration – et ses larmes – devant les caméras face à l’immobilisme de la Chambre des représentants et du Sénat contre ce qu’il a appelé une « épidémie ».

Cependant, malgré un Congrès de bord opposé, il aura accompli de nombreuses choses. Sauvetage du secteur automobile menacé par la crise, modernisation des écoles, promotion des énergies propres, nouveau programme de -formation et extension du système Medicaid pour les plus pauvres, et nomination d’un juge hispanique à la Cour suprême. Quant aux régulations imposées au système financier, elles ont été jugées « très insuffisantes » par le prix Nobel d’économie Paul Krugman, parce que ce plan ne s’est « pas vraiment attaqué à deux problèmes cruciaux que sont la réforme des agences de notation et le système de rémunération des banquiers ».

Sur les sujets sociétaux, la présidence Obama restera associée à des avancées sans précédent sur les droits des LGBT, avec la légalisation du mariage des homosexuels par la Cour suprême en juin 2015.

Au niveau international, l’ex-président a repris les relations diplomatiques avec Cuba. Il se targue aussi d’avoir réduit la coûteuse présence militaire américaine en Irak et en Afghanistan, contribué au succès de la COP 21 et scellé un accord sur le nucléaire iranien. Symboliquement, il restera dans l’histoire comme le président qui aura fait tuer Oussama ben Laden, après des années de traque, malgré huit années marquées par la progression de l’État islamique et l’inaction américaine en Syrie. À l’inverse, il n’aura pas fait fermer la prison de Guantanamo, comme il s’y était engagé pendant la campagne de 2008.

« Son bilan est impressionnant, estime Julian Zelizer, professeur d’histoire à Princeton, et, si ses réformes demeurent, il peut être vu comme le Démocrate qui a percé comme nul autre Démocrate avant lui dans un contexte conservateur. »

Selon les sondages, c’est la réforme du système de santé qui a le plus marqué l’opinion. Bien avant l’économie ou le fait qu’Obama ait été le premier président noir des États-Unis. Critiqué par les Républicains, qui veulent l’abroger et le remplacer, l’Affordable Care Act (ou « Obamacare ») a permis à 20 millions de personnes qui ne bénéficiaient d’aucune assurance maladie d’y avoir accès. De 16 % de la population américaine en 2010, le nombre de non-assurés a chuté à 8,6 % en 2016. C’est la première fois dans l’histoire du pays que ce taux passe en dessous de 9 %.

Malgré ces résultats indéniables, Donald Trump et les Républicains affirment que la loi a entraîné une hausse des tarifs pratiqués par les assureurs dans certains États, comme le Michigan, le Colorado et l’Iowa, qui sont également des États clés sur le plan électoral. L’administration Obama reconnaît ces hausses, mais affirme qu’elles sont modestes.

La victoire de Trump montre qu’une partie du pays n’a pas digéré ces changements. L’hostilité des couches populaires blanches envers le traité de libre-échange Transpacifique et l’Amérique multiculturelle a certainement pesé dans la balance. Mais le fait qu’Hillary Clinton ait recueilli 2,8 millions de voix de plus que Donald Trump au vote populaire atteste en partie des succès du futur ex–locataire de la Maison Blanche. À 55 ans, il peut s’offrir le luxe de continuer à défendre son bilan. Il a d’ores et déjà dit qu’il aimerait être un « coach » pour les jeunes talents du Parti démocrate. Une manière de passer le relais. Le Parti démocrate en a bien besoin.

Monde
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