Pierre Laurent : « Une fenêtre s’ouvre, il ne faut pas la refermer »

Pour Pierre Laurent, secrétaire national du Parti communiste, seul un « pacte de majorité » entre le PS, la France insoumise et les Verts peut conduire à la victoire.

Denis Sieffert  et  Christophe Kantcheff  et  Pauline Graulle  • 8 février 2017 abonné·es
Pierre Laurent : « Une fenêtre s’ouvre, il ne faut pas la refermer »
© Photo : JEAN-SÉBASTIEN EVRARD/AFP

Plus d’une semaine s’est écoulée depuis la victoire de Benoît Hamon à la primaire et sa main tendue à la gauche de l’échiquier politique. Méfiant vis-à-vis du député socialiste et en désaccord sur la stratégie du rassemblement, à laquelle il oppose la stratégie de la rupture avec le quinquennat précédent, Jean-Luc Mélenchon a imposé comme préalable à toute discussion que Benoît Hamon « choisi[sse] entre eux [les sociaux-libéraux, NDLR] et nous ». Pourtant soutien du candidat de la France insoumise, Pierre Laurent voit en revanche dans le rassemblement de toute la gauche la seule chance d’une victoire à la présidentielle et aux législatives.

Politis a rencontré le leader des communistes dans son bureau de la place du Colonel-Fabien. Pour lui, l’investiture de Benoît Hamon remet au centre du jeu son parti, qui s’était jusqu’ici effacé, bon an mal an, derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Pierre Laurent ne désespère pas que tout le monde parvienne à se mettre d’accord sur un « contrat de majorité ». À la condition, prévient-il, que s’ouvre un débat public de fond entre les forces en présence.

Vous avez salué la victoire de Benoît Hamon à la primaire organisée par le PS. En quoi est-elle, selon vous, une bonne nouvelle ?

Pierre Laurent : Ce qui vient de se passer dans la primaire socialiste confirme ce que j’ai dit tout au long de l’année écoulée, c’est-à-dire que les jeux n’étaient pas faits et que les électeurs de gauche du pays ont beaucoup de choses en commun : la critique du quinquennat écoulé, mais aussi l’aspiration à une politique de gauche qui retrouve ses valeurs et ses couleurs. On a la confirmation que les électeurs de gauche ne sont pas irréconciliables, comme certains l’ont prétendu. Aujourd’hui, des perspectives nouvelles s’ouvrent, alors que le scénario politique paraissait verrouillé.

Cela replace le PCF au centre du jeu. Quel type d’initiatives comptez-vous prendre ?

Il y a en lice aujourd’hui, et ce n’est pas la situation que j’ai souhaitée, plusieurs candidats de gauche qui sont, d’une manière ou d’une autre, légitimés par une partie des familles de la gauche. Si on veut faire avancer la situation, il faut, tout au long du mois de février, multiplier les initiatives qui pousseront le débat sur les contenus afin d’aboutir à ce que nous avons appelé un « pacte d’engagement commun », un « contrat de majorité » à gauche. Une fenêtre s’ouvre. Il ne faudrait pas la refermer de nouveau au prétexte de l’implacable logique présidentielle qui voudrait qu’on résolve d’abord le problème de la candidature.

Même si le temps paraît court, je crois que la bonne manière d’avancer est de mener ce débat de contenu. Car, s’il y a des préoccupations et des valeurs communes – la question sociale a été rouverte par le candidat socialiste et c’est une bonne chose –, il y a toujours de grandes différences entre les candidats et des précisions à apporter sur les positions des uns et des autres sur le revenu d’existence, la 6e République, etc.

Quelle forme ce débat pourrait-il prendre ?

Il faudra inventer en marchant, mais une chose est sûre : ces débats doivent être menés publiquement, pas en vase clos. Le PCF organise des rencontres citoyennes, comme ce week-end à Marseille, sur le progrès social, mais nous ne sommes pas propriétaires de l’initiative. Les organisateurs et les formes doivent être multiples. Des associations comme l’Appel des cent ou Les Jours heureux promeuvent ce type de débat public, et c’est très bien. Tout le monde doit se mobiliser.

Vous ne posez pas, comme le fait Jean-Luc Mélenchon, la rupture de Benoît Hamon avec la droite du PS comme un préalable à la discussion ?

Ce que j’ai envie de retenir, à la lumière de la séquence précédente, c’est que les électeurs de gauche ont tranché cette question-là. Je dirais même plus : si nous voulons nous assurer que le changement en cours au PS est réel, nous devons entrer sans préalable, et de manière active et constructive, dans le dialogue pour la présidentielle et les législatives. Dans les semaines qui viennent, nous allons marcher sur nos deux jambes : amplifier la campagne que nous avons commencée [en faveur de Jean-Luc Mélenchon, NDLR] et multiplier les initiatives pour favoriser le débat.

Comment allez-vous convaincre Mélenchon de participer à ces débats dont il ne veut pas aujourd’hui ?

Je parle de la situation avec Jean-Luc Mélenchon. Je lui dis que le temps est venu de pousser de manière offensive le débat à gauche. Ensuite, ce qui fera bouger tout le monde, c’est l’intervention des citoyens. Les gens qui se sont mobilisés contre la loi El Khomri veulent une perspective politique. Ils veulent de l’unité, mais pas une unité qui se ferait dans l’ambiguïté sur les solutions proposées. Si le débat est mené, la pression montera sur le besoin à la fois d’unité et d’un contenu transformateur. Il faut avoir confiance dans les citoyens.

L’idée de mettre en place un programme commun entre Hamon, Mélenchon, Jadot et vous-même vous semble-t-elle réaliste ?

C’est justement ce qu’il convient de vérifier : on sent un désir commun d’avancer dans la bonne direction, mais les bases d’un contrat de majorité existent-elles vraiment ? Par exemple, le PCF porte beaucoup de propositions sur la maîtrise de la finance, la lutte contre l’évasion fiscale, la réorientation de l’utilisation des fonds publics, la mise en cause du CICE, la nécessité d’une réforme fiscale d’ampleur, la maîtrise publique du secteur bancaire… Ce sont pour nous des conditions essentielles du financement d’une politique nouvelle, or j’ai peu entendu Benoît Hamon sur ces questions.

Depuis toujours, je crois que les solutions que nous proposons peuvent être assumées par beaucoup plus de gens que l’électorat qui a été celui du Front de gauche ces cinq dernières années. C’est pourquoi il faut chercher les voies du rassemblement. Nous n’aurions jamais dû cesser de le faire, et il faut le faire encore plus aujourd’hui.

Mais la stratégie que vous défendez n’est-elle pas très différente de celle de Jean-Luc Mélenchon, qui ne se situe pas dans un cadre de parti ?

La gauche de demain sera celle qui saura combiner la force des partis avec des pratiques d’intervention beaucoup plus directes avec les citoyens. Il ne faut pas opposer les unes aux autres ! En ce moment, nous avons effectivement une divergence sur ce point avec Jean-Luc Mélenchon. Pour nous, les partis ne sont pas morts. La preuve : ces deux primaires [à droite et à gauche, NDLR] ont réuni 6,5 millions d’électeurs. Par ailleurs, se passer des partis, formes d’organisation permanentes de l’intervention des peuples, c’est se priver d’outils très utiles au moment même où on assiste à des confiscations extrêmes du pouvoir entre quelques mains. C’est aussi se rendre de plus en plus dépendants de bulles médiatiques ou sondagières. Or les forces sociales doivent être tenaces et durables si elles veulent conquérir de nouveaux droits. Même si les formes traditionnelles des partis doivent être renouvelées, la conquête populaire du pouvoir ne peut passer que par des organisations stables.

Les votes successifs des cadres puis des militants communistes n’ont pas montré un grand enthousiasme dans le soutien à Jean-Luc Mélenchon. Comment vos troupes ont-elles réagi en interne à l’élection de Benoît Hamon ?

Pourquoi les communistes étaient-ils partagés sur le soutien à Jean-Luc Mélenchon ? Parce qu’ils aspirent à être respectés. Or ils ont eu le sentiment que la manière dont Jean-Luc Mélenchon a déclaré sa candidature ne les a pas respectés. Depuis le 29 janvier, ce qui est vécu comme une bonne nouvelle par les communistes, c’est que le champ du dialogue, de la coopération et des convergences, retrouve de l’espace à gauche. La perspective de construire des majorités redevient possible. Cela ne signifie pas pour autant que les communistes vont rallier une formation politique, le Parti socialiste, dont ils n’ont pas oublié le comportement dans le quinquennat et avec lequel ils continuent d’avoir des débats.

Donc vous soutiendrez Jean-Luc Mélenchon jusqu’au bout, même en cas d’échec du rassemblement…

Jean-Luc Mélenchon est notre candidat à la présidentielle. Moi, je ne fais pas de la politique-fiction sur les semaines à venir. Tout ce que je remarque, c’est que nous avons eu raison, parfois contre vents et marées, de croire que la situation pourrait se déverrouiller, là où on nous expliquait que la victoire de Manuel Valls était acquise.

Où en êtes-vous de vos négociations sur les législatives avec la France insoumise ? Pose-t-elle toujours comme condition au rassemblement la signature de sa charte ?

L’effort politique qui vise, au fond, à construire une nouvelle majorité politique, ne pourra pas se faire sans les législatives. Nous considérons donc qu’elles sont d’égale importance avec l’élection présidentielle. D’autant qu’il faut en finir avec ce régime démocratique miné par la présidentialisation de la politique.

Quand nous désignons des candidats dans les circonscriptions, nous essayons de faire en sorte que ces candidatures soient portées par un large rassemblement. Ces discussions ont buté jusque-là sur le fait que la France insoumise exigeait de nous la signature d’une charte élaborée par elle seule et conduisant à nous fondre dans un unique mouvement politique, ce dont nous ne voulons pas. Le maintien de ce préalable, qui n’est pas accepté par des communistes ni par les autres composantes qui soutiennent Mélenchon, n’est pas raisonnable…

Aujourd’hui, ce préalable est-il maintenu par la France Insoumise ?

Oui, mais, ce qui est nouveau, c’est que la discussion a repris et que notre argument de bon sens, qui consiste à dire que présenter des candidats France insoumise contre des candidats communistes aura pour seule conséquence une division des forces, et donc une défaite des deux parties, commence peu à peu à être entendu.

Pourrait-il y avoir un accord national ?

Je ne sais pas. Mais je pense que ce problème pourra se résoudre par la discussion dans un très grand nombre de circonscriptions.

De même, quel type d’accord pourrait-il y avoir avec Benoît Hamon aux législatives, sachant que le premier cercle des hamonistes comme Alexis Bachelay ou Mathieu Hanotin sont les adversaires des communistes dans les bastions « rouges » de Gennevilliers et de Saint-Denis ?

Cela fait partie des ambiguïtés qui doivent être levées. Beaucoup de candidats investis par le PS ne partagent pas les orientations de Benoît Hamon, c’est donc un premier problème. Par ailleurs, je crois que des villes comme Saint-Denis, Gennevilliers, Colombes, Bagneux ou Malakoff ont souffert durant le quinquennat de l’absence de députés communistes. Il s’agira donc de convaincre les électeurs ! La construction d’une politique de gauche, d’un contrat de majorité, passera par l’existence de groupes communiste et écologiste. Quel que soit le candidat de gauche qui l’emporterait à la présidentielle, il faudrait que la majorité soit diverse.

Un des problèmes que nous avons vécus durant le quinquennat, c’est que François Hollande a cherché à imposer une politique à l’ensemble de la majorité, sans compromis, sans ouverture, sans même une discussion avec sa majorité. D’où le 49.3 de la loi travail et le piteux épisode sur la déchéance de nationalité. C’est pourquoi ce contrat de majorité au Parlement doit être discuté dès aujourd’hui. Il faut revenir à un régime démocratique où les parlementaires rendent compte devant le peuple, et non devant le président de la République – ce qui est une perversion démocratique profonde.

À ce propos, que pensez-vous de l’idée de constituante portée par Jean-Luc -Mélenchon ?

Il faut que nous construisions une nouvelle république, avec la collaboration des citoyens. Dès lors, la constituante peut être un très bon outil pour faire émerger cette constitution. Pour moi, ce processus doit s’étaler sur le quinquennat. On doit lui donner le temps démocratique et citoyen nécessaire – cela ne doit pas empêcher d’engager rapidement des transformations démocratiques importantes. Les citoyens qui seront tirés au sort doivent pouvoir bénéficier du temps long pour mener un vrai débat public. La constituante, je l’imagine en fait comme un chantier du quinquennat.

Je suis le premier convaincu que nous sommes handicapés par la présidentielle, qui dévalorise le débat politique de projets. Il faut donc le subvertir. Et même, à terme, supprimer l’idée de l’élection d’un homme à la présidentielle. Je crois à la conduite collective des affaires du pays. L’élection de Donald Trump nous montre bien ce qu’il en coûte d’être dans un processus de concentration présidentielle des pouvoirs.