Un mouvement pour libérer la parole

Le hashtag « On vaut mieux que ça », sur la souffrance au travail, est symbolique d’un renouveau des luttes politiques.

Erwan Manac'h  • 22 février 2017 abonné·es
Un mouvement pour libérer la parole
© Aurel

L’appel a été lancé le 24 février 2016, alors que le projet de loi travail définitif n’était pas encore connu. Onze « youtubeurs » se regroupaient pour lancer un appel commun au témoignage. Le hashtag « On vaut mieux que ça », positif et fédérateur, cartonne immédiatement sur tous les réseaux sociaux. Un an après le lancement de l’opération, ce sont plus de 700 témoignages qui ont afflué sous ce mot d’ordre. Ils parlent de harcèlement moral, de surmenage, de précarité, d’exclusion ou de perte de sens du travail. Tous les secteurs d’activité et toutes les tranches d’âge sont représentés.

Avec le recul, les initiateurs estiment que cette déferlante a largement dépassé le cadre de la simple mobilisation en ligne. « On vaut mieux que ça » a contribué à une prise de conscience, jugent-ils. « La puissance de cette opération – et d’Internet en général – est de permettre à chacun de découvrir qu’il n’est pas seul à souffrir dans son coin, qu’il n’est pas responsable de la situation dont il souffre, car cela relève d’un système », analyse Dany Caligula, co-initiateur de l’appel. « Les petits problèmes, dont on ne parle pas parce qu’ils nous semblent ridicules, tout d’un coup, prennent un sens. Parce qu’ils se retrouvent comme invariants dans des dizaines de témoignages », ajoute Gull, de la chaîne Hacking social.

Cette prise de conscience a impulsé un mouvement « d’empowerment », assure aussi Dany Caligula, au regard de sa propre expérience. « Je ne serais probablement pas politisé si je n’avais pas eu Internet, témoigne-t-il. C’est en prenant la parole en ligne, petit à petit, qu’on en vient à se sentir légitime pour s’exprimer sur des sujets qui nous concernent. C’est ce qui m’a poussé à créer ma chaîne YouTube. »

Cette nouvelle forme d’expression a donc donné naissance à une nouvelle forme d’action. Un mois après le lancement d’« On vaut mieux que ça », Nuit debout gagnait les places publiques avec le même souci de « libérer la parole de ceux qui ne l’ont pas ». Les deux mouvements se sont nourris. Et ils se ressemblent aussi dans les écueils rencontrés.

Le collectif de vidéastes a en effet été rapidement confronté à un conflit stratégique comparable aux discussions qui ont enflammé les assemblées de Nuit debout. Certains membres du collectif voulaient jouer un rôle plus actif en complétant les témoignages par un discours offensif, notamment en répondant aux sollicitations des médias. Et le groupe a fini par faire scission. Restaient ceux qui, comme Dany Caligula, « voulaient rester un simple média et ne pas parler à la place des gens ».

Quant aux « retombées » du mouvement, elles sont, comme pour Nuit debout, invisibles mais bien réelles, assure le vidéaste. « Ce qui s’est passé est assez historique. Il y a eu une prise de conscience pour beaucoup de gens. Les conséquences se verront dans le futur. »

À l’avenir, le groupe de youtubeurs n’exclut pas de réitérer ce type d’appel. En attendant, chacun poursuit séparément son travail « d’éducation populaire » sur sa propre chaîne YouTube.

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