Charlotte Marchandise, porte-voix des citoyens

La candidate de Laprimaire.org s’est lancée dans une campagne à taille humaine pour porter les idées de la société civile et donner une autre image de la politique.

Vanina Delmas  • 8 mars 2017 abonné·es
Charlotte Marchandise, porte-voix des citoyens
© Photo : Samia Benguetaïd

C’est dans le train de 8 h 07 en direction de Montpellier que Charlotte Marchandise-Franquet commence sa semaine marathon. Devant elle, le dernier numéro d’Usbek & Rica, « le média qui explore le futur », consacré à la crise migratoire. « Je vous conseille l’édito », glisse-t-elle en le feuilletant. Le titre : « La gauche ? LOL ». Une gauche qu’elle ne prend plus au sérieux et qui pourrait être grignotée par des figures de la société civile, comme elle. « Globalement, je me retrouve dans les idées de Benoît Hamon et de Yannick Jadot, mais c’est la méthode qui bloque, s’agace-t-elle. Le rejet des politiques par les citoyens est énorme. Et quand on voit, par exemple, que Jadot annonce son ralliement à Hamon avant la consultation des adhérents EELV, je les comprends ! »

Il y a un an, Charlotte Marchandise n’aurait jamais imaginé se lancer dans cette course effrénée. Mais, un jour, elle rencontre les créateurs de Laprimaire.org lors de leur escale à Rennes, où elle vit. David Guez et Thibauld Favre ont lancé cette plateforme pour faire émerger un candidat citoyen en 2017. « Quand j’ai vu qu’il y avait 200 hommes et seulement 8 femmes en lice, j’ai décidé de me lancer », précise-t-elle, assumant parfaitement son engagement féministe. Militante associative depuis vingt ans, notamment dans le domaine de la santé, elle dispose d’un réseau qui lui permet de récolter facilement les 500 parrainages citoyens nécessaires pour s’inscrire. Au second tour, ils sont encore cinq, mais c’est elle qui obtient la meilleure note et le plus de mentions « très bien », selon le mode du vote préférentiel dans ce scrutin auquel ont participé plus de 32 000 personnes.

Des parrainages encore plus verrouillés

Le 21 février, Charlotte Marchandise-Franquet a signé l’appel contre « le verrou antidémocratique des grands partis », aux côtés de cinq autres « petits » candidats à l’élection présidentielle : Alexandre Jardin, du mouvement Bleu Blanc Zèbre, Pierre Larrouturou, de Nouvelle Donne, Philippe Poutou pour le NPA, l’indépendantiste polynésien Oscar Temaru et le chef des Bonnets rouges bretons, Christian Troadec.

Dans leur ligne de mire, la réforme des règles de l’élection présidentielle adoptée en avril 2016. Désormais, au lieu d’un extrait de 500 noms tirés au sort, la liste intégrale des élus ayant parrainé un candidat sera publiée et actualisée deux fois par semaine sur le site du Conseil constitutionnel. Et les élus devront transmettre leur parrainage directement au Conseil constitutionnel alors qu’ils pouvaient auparavant le remettre aux candidats.

Pour accéder au premier tour de la présidentielle, ceux-ci doivent obtenir 500 signatures d’élus locaux (maires, députés, sénateurs, députés européens, conseillers régionaux, conseillers départementaux) avant le 17 mars. « La pression sur les maires est telle qu’ils ou elles ne peuvent accorder leur parrainage librement en raison des retombées négatives qu’ils ou elles pourraient subir », dénonce l’appel commun. « Comment un élu peut-il mettre la pression sur un autre élu de la République ! Cette situation est dramatique ! », s’indigne la candidate de Laprimaire.org.

La transparence a certes du bon, mais, cette fois, elle dessert la diversité ­politique.

Depuis, Charlotte Marchandise enchaîne les déplacements et les rendez-vous avec les médias pour essayer de combler le gouffre qui existe entre les candidats comme elle et ceux qui auront le droit de débattre sur TF1, France 2 ou BFM TV. « Aujourd’hui, Le JDD ne m’a pas classée dans les petits candidats ! », s’exclame-t-elle, en exhibant l’article sur son smartphone. La veille, elle se confrontait au protocole du Salon de l’agriculture, rite initiatique pour entrer dans l’arène politique française. Mais l’urgence reste la recherche des 500 parrainages. « Nous comptons environ 200 promesses », estime-t-elle. Pour le moment, seules sept se sont transformées en signatures.

Intéressée par la politique depuis longtemps, Charlotte Marchandise découvre ce monde en 2014, en rejoignant la liste Changez la ville, composée d’adhérents EELV, du Front de gauche  et de citoyens, aux élections municipales de Rennes. Elle devient adjointe à la Santé et élue à la présidence du Réseau français des villes-santé de l’OMS. « J’ai toujours été en lutte contre l’injustice, raconte-t-elle_. J’ai passé mon bac scientifique en 1992, à l’époque où le sida sévissait. Le VIH et le droit à l’IVG ont été mes premiers combats, mais je ne les considérais pas comme des luttes de gauche ou de droite. C’était une lutte pour la vie. »_

Dans le hall de la gare, un homme d’une cinquantaine d’années, badge « En marche » épinglé sur la chemise, accoste la candidate au hasard. Enseignant, il est candidat aux élections législatives pour le mouvement d’Emmanuel Macron. Séduit par la démarche de Charlotte Marchandise, il lui donne le nom du maire de son village, qui serait sûrement d’accord pour la parrainer. Quelques élus ont déjà sauté le pas, comme Vanessa Miranville, maire de La Possession, à La Réunion, ou le maire de Kingersheim (Haut-Rhin), Jo Spiegel, un grand défenseur de la démocratie participative. D’ailleurs, c’est l’un de ses soutiens qui l’accueille pour la journée. Marie-Françoise Nachez, maire d’Arboras, village de 113 habitants, n’a pas hésité une seule seconde quand elle a découvert ce projet. « J’avais l’impression de m’entendre ! », glisse cette ancienne employée de la BNP Paribas, descendue dans la région pour la cueillette des olives il y a six ans. « J’ai très peu de réseau politique, mais beaucoup d’élus sans étiquette aux alentours pourraient se laisser convaincre », avance-t-elle.

Grâce à une équipe de huit personnes – dont certains venant d’Alternatiba, de Nouvelle Donne ou du monde de l’économie sociale et solidaire – et quelque 200 bénévoles dans toute la France, la stratégie de communication se met en place. Françoise vient de fêter ses 70 ans et croit en cette nouvelle génération qui veut faire bouger les choses. « J’ai voté pour la première fois en 1968, se souvient-elle. À cette époque, la Constitution de De Gaulle correspondait aux attentes. Puis l’éthique a disparu. Pendant de longues années, je me suis contentée de ce qu’il y avait comme offre politique, jusqu’à Sarkozy et Hollande. » À défaut d’avoir convaincu des élus, Françoise a proposé une interview sur Agglo.tv, une Web-TV locale qu’elle connaît bien.

À l’aise, Charlotte Marchandise déroule son argumentaire avec naturel et sans notes. Idem quelques heures plus tard face aux jeunes reporters citoyens de Kaïna TV, qui insistent sur sa vision des quartiers populaires et ses idées pour sortir de la misère sociale. Elle cite la Fondation Abbé-Pierre ou ATD Quart-monde comme références, évoque le vivre-ensemble et sa collaboration avec l’association Médiation nomade de Bagneux pour organiser une battle d’éloquence, mais reste ferme sur un point : « Je ne peux pas parler à la place des jeunes, des habitants de ces quartiers ! » En toute transparence, elle assume son ignorance sur certains sujets mais sait où trouver les bonnes réponses. Dépasser les clivages politiques et jouer collectif : deux axes majeurs du projet de société que défend la candidate, d’où son obsession du « nous », à la place du « je » lors de ses interventions publiques. La ressemblance avec les idées de Nuit debout, et parfois leur côté utopiste, est indéniable. « Sans doute, mais nous ne sommes pas en assemblée générale permanente, il faut savoir prendre des décisions », tempère-t-elle, préférant l’action aux discussions interminables.

À 19 h 30, une quarantaine de personnes s’installent sur les chaises de récup’ de la Maison des échanges, QG de l’économie alternative de Montpellier, décoré avec des objets chinés dans des brocantes. Avec 83 000 euros de dons, Charlotte Marchandise ne peut pas se permettre de tenir des meetings. « Nous sommes l’anti-Bygmalion », plaisante-t-elle. Pas question de faire un « one-man-show à la Mélenchon » non plus. Elle est accompagnée de deux interprètes en langue des signes et d’un facilitateur graphique qui illustre ses propos au fur et à mesure. La lumière projette leurs ombres sur les rideaux du fond de scène, comme au théâtre, mais c’est bien du réel qu’elle compte discuter. Agriculture, éducation, droits des personnes LGBT, revenu universel, santé, démocratie… « Changer la Constitution est un but, mais je ne peux pas dire quel nom elle portera : 6e République, Démocratie durable, 2e Commune… Ce sera au jury citoyen de le choisir », souligne-t-elle. L’international ? Vite évacué dans une politique globale de « paix ». « Nous sommes des Bisounours mais radicaux », clame-t-elle. De chiffres et de budget, on parle peu pour l’instant.

Dans la salle, Julia, 22 ans, prend la parole. Originaire d’Espagne, elle fait le parallèle avec les listes citoyennes qui ont remporté les municipales, notamment à Madrid et à Barcelone. Cette étudiante en médecine a apprécié le processus de Laprimaire.org, et la ferveur citoyenne lui rappelle les frémissements de Podemos. « Au début, ce n’était pas un parti politique. J’y ai assisté car le mouvement est né dans mon université. Je pense que vous pouvez le faire en France aussi, ce n’est pas si difficile, et c’est le bon moment », poursuit-elle.

Charlotte Marchandise rebondit facilement car elle connaît bien l’Espagne : dans les années 1990, elle a tenu un bar culturel à Séville et donné des cours de français. La candidate suit donc la politique ibérique avec un grand intérêt. « Quand j’y suis retournée, il y a quelques mois, j’ai eu le sentiment que les Espagnols avaient quinze ans d’avance sur nous, répond-elle. Je suis certaine qu’il va bientôt y avoir un printemps citoyen non violent en Europe. » Car, en revenant un peu sur terre, Charlotte Marchandise et son équipe sont conscients que la présidence n’est pas à leur portée. Mais, contrairement aux politiques professionnels, eux voient à long terme. Le Petit Poucet sorti de l’urne numérique sème les premières miettes d’un « archipel citoyen » qui, selon elle, pourrait émerger pleinement lors des élections municipales de 2020. Qui sait ?

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