François Fillon : Une dérive vers l’extrême

Derrière l’unanimité de façade, la droite apparaît plus fracturée que jamais. La stratégie de François Fillon radicalise une partie des troupes et menace de faire céder les dernières digues face au FN.

Nadia Sweeny  • 8 mars 2017 abonné·es
François Fillon : Une dérive vers l’extrême
© Photo : Alexandr Kryazhev/Sputnik/AFP

François Fillon sera donc bel et bien le candidat de la droite désunie. Le 6 mars au soir, le comité politique des Républicains lui a affirmé son soutien dans une unanimité de façade. Cette droite qui avait réussi, un temps, à camoufler ses fractures derrière une primaire réussie, se retrouve piégée entre une légitimité électorale, des questions morales et des tensions idéologiques révélées par les affaires de François Fillon, qui entame une dangereuse radicalisation de ses méthodes et de son discours.

La décision de François Fillon de s’accrocher à sa candidature, malgré sa probable mise en examen, a provoqué un affrontement entre le candidat et toute une partie de la droite, qui fustige le non-respect de la parole publique : François Fillon ayant affirmé quelques mois auparavant qu’il ne serait pas candidat s’il était mis en examen.

À ceux qui doutent de sa légitimité et ont quitté le navire, le candidat a brandi son écrasante victoire à la primaire. « Les millions de voix qui se sont portées sur moi à la primaire veulent dire simplement ceci : nous autres Français n’en pouvons plus de vos calculs, de vos carrières, de vos histoires. » François Fillon se pose comme le candidat du peuple, l’« antisystème ».

Pour mener son combat, il n’a pas hésité à exalter sans vergogne sa base électorale, à coup de leviers populistes, prenant le risque de ne plus pouvoir justifier auprès d’elle aucune limite nette entre les Républicains et le Front national. Dans l’état de « quasiguerre-civile » dans lequel il se vit, la « lapidation médiatique » et le « lynchage » dont il serait victime, doublés d’un « coup d’État institutionnel », François Fillon n’est plus un suspect potentiellement mis en examen, il se transforme en victime d’un « assassinat politique » de la part de la justice et des médias. Un glissement dont la technique n’a rien à envier à Marine Le Pen.

Dans un mail envoyé aux sympathisants pour les appeler à se mobiliser dimanche 5 mars au Trocadéro, l’équipe du candidat évoque même « l’acharnement de la gauche, du système judiciaire aux ordres de l’actuel Président et des médias ». Des théories du complot qui se diffusent comme une trainée de poudre au sein de l’électorat LR.

« La presse n’est pas objective, elle est majoritairement de gauche et elle nous impose une pensée unique », s’insurge un militant avant de huer haut et fort le Parquet national financier, fustigé par Pierre Danon, président du conseil national de la société civile de la campagne filloniste, qui se rassemblait samedi 4 mars à Aubervilliers. « Pourquoi cette disproportion ? Posez-vous les bonnes questions ! », lance-t-il à la foule, dénonçant « la société politico-médiatique ».

Pour montrer sa détermination à lutter contre celle-ci, celui qui exécrait de tout son poids le « pouvoir de la rue » fait appel… à la rue. Une stratégie qui désarçonne une grande partie des électeurs et des élus de droite, d’autant que l’objectif du rassemblement, bien qu’implicite, est clair : prendre pour cible la justice, les institutions et la presse.

Le journal Valeurs actuelles a d’ailleurs encensé un « rassemblement contre le coup d’État des juges ». Pour Georges Fenech, c’est « gravissime » : « On ne fait pas jouer contre les juges une justice populaire. Cela n’est pas responsable », a souligné le député LR du Rhône.

« Cet appel à manifester contre l’autorité judiciaire et les médias pose un grave problème, affirme Pierre-Yves Bournazel, conseiller régional d’Île-de-France, juppéiste de la première heure. Ce sont des méthodes qui nous mènent droit à Marine Le Pen. Il faut avoir le courage de stopper tout ça. »

Très vite, les fillonistes ont tenté de corriger le tir en appelant à un « rassemblement populaire » en soutien à François Fillon. Mais le mal était fait et les sous-entendus trop grossiers pour ne pas être clairement compris. Jean-Louis Debré, ancien président du Conseil constitutionnel, s’est dit lui-même « très préoccupé par ce rassemblement initialement organisé pour dresser le peuple contre la justice et la presse. Cela, c’est le propre de l’extrême droite, pas de la droite républicaine. »

D’autant que Sens commun, émanation politique de la Manif pour tous, a co-organisé le rassemblement. Les banderoles ont été interdites, par peur des débordements : « Vous imaginez si on se retrouve avec des bannières “les juges tous pourris” », s’exclame un proche de Frigide Barjot, figure du mouvement Manif pour tous et soutien de François Fillon, évoquant la possible présence d’une « 5e colonne infiltrée pour casser la mobilisation ». Frigide Barjot, qui avoue insuffler ses idées par ses contacts au sein de l’équipe filloniste, prône pourtant officiellement « un mouvement républicain pour faire barrage au FN ». Mais la crainte des rapprochements est omniprésente chez les élus locaux LR.

La présence de Charles Beigbeder au rassemblement de la société civile filloniste du 4 mars n’a pas rassuré. Cet homme d’affaires, conseiller du VIIIe arrondissement de Paris, fait chevalier de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy, avait déclaré dès 2015 qu’il n’aurait « aucun état d’âme à soutenir le FN » à la présidentielle. Il s’est réjoui d’une « épuration » du QG de campagne de François Fillon, des éléments perturbateurs qu’il dit être proches de « la gauche », évoquant notamment l’UDI et les anciens soutiens d’Alain Juppé.

L’ancien ministre de la Défense Charles Millon était aussi présent ce samedi. Il est l’un des cinq présidents de région à avoir été élus en 1998 grâce à une alliance entre le RPR et le FN de Jean-Marie Le Pen. Philippe Séguin, alors président du RPR et mentor de François Fillon, s’était insurgé contre ceux qui « ont cru devoir pactiser avec l’extrême droite » : « Ils ne vont tout de même pas vendre leur âme », s’agaçait-il.

À l’époque, 36 % des sympathisants RPR étaient favorables à une alliance. En septembre 2013, ils étaient 70 % à souhaiter une « normalisation » du parti de Marine Le Pen et 49 % favorables à des alliances au niveau local avec le parti d’extrême droite. « Nous avons de plus en plus de difficultés à expliquer qu’il y a une frontière infranchissable entre l’UMP et le FN, et donc pas d’alliance possible », estimait d’ailleurs, en 2014, Thierry Mariani, aujourd’hui député des Français de l’étranger et présent dimanche 6 mars, à la manifestation du Trocadéro en soutien à François Fillon.

Si le candidat de la droite ne rate pas une occasion d’écorner Marine Le Pen lors de ses discours, force est de constater que, lorsqu’il le fait, une bonne partie de ses sympathisants n’applaudit pas. Dans ses rangs, le message est souvent clair : « Si ce n’est pas Fillon, ce sera Le Pen. » La pente que savonne François Fillon semble progressivement mener une partie des électeurs LR dans le panier du Front national. « Le noyau dur des militants et sympathisants LR s’est radicalisé », a regretté Alain Juppé dans son allocution à la presse lundi 6 mars, pour annoncer qu’il ne serait pas le plan B tant souhaité par une partie de la droite.

« Jusqu’à présent, ce sont les socialistes qui faisaient monter le Front national, maintenant c’est nous. J’ai honte de ma droite », a tweeté Gérald Darmanin, maire LR de Tourcoing, avant de démissionner du poste de secrétaire général adjoint du parti. « Le respect de la parole donnée est la seule façon de lutter contre le FN. La trahir, c’est creuser le fossé avec le peuple », justifie-t-il. « En mettant en cause les institutions, il a perdu toute crédibilité […]_. Il a dépassé les bornes »_, a affirmé, de son côté, Dominique de Villepin. Se rapprochant d’Emmanuel Macron, l’ancien Premier ministre a déclaré que si François Fillon restait candidat il ne voterait pas pour lui : « On ne joue pas avec la parole donnée, on ne joue pas avec la rue. »

Mais François Fillon persiste et signe. Face à cette obstination, la droite modérée est prise au piège d’une radicalisation qu’elle n’a pas réussi à empêcher. Comment des élus pourraient aujourd’hui revenir derrière un candidat qu’ils ont fustigé sans perdre toute crédibilité ? D’autant qu’ils ont ouvertement attaqué François Fillon pour avoir trahi sa parole. En faisant volte-face, ils contreviendraient à la leur. Ce dilemme a priori insurmontable peut mener la droite à l’échec, synonyme, selon toute vraisemblance, d’implosion.

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