Mélenchon philosophe

La « gauche » est volée par François Hollande, mais le « peuple » l’est par Marine Le Pen. D’où, peut-être, un risque de confusion, et un point de départ politique très discutable.

Denis Sieffert  • 5 avril 2017
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Mélenchon philosophe
© photo : GUILLAUME SOUVANT / AFP

Qui l’eût cru ? Voilà désormais Mélenchon promu coqueluche des médias. Un débat télévisé réussi, un bon mot (les fameuses « pudeurs de gazelle »), et le candidat de la France insoumise est porté au pinacle [1]. Hommage du vice à la vertu… Certes, le coup de foudre est esthétique plus que politique. Il n’est guère question dans tout ce que nous voyons et lisons ces derniers jours de « Constituante » ou de « 6e république », mais plutôt du talent d’un homme au verbe riche et fleuri, qui tire toujours son auditoire vers le haut. Ce qui fait déjà un beau programme ! Tout de même, on ne peut s’empêcher de penser que c’est là une manifestation de l’hyperpersonnalisation voulue par cette institution présidentielle que Mélenchon affirme précisément vouloir combattre. Drôle de paradoxe !

Cela dit, et quelles qu’en soient les raisons, un changement s’est opéré à gauche. Une nouvelle dynamique est enclenchée. Les courbes se sont croisées sans retour avec Benoît Hamon. Reste à savoir jusqu’où peut aller Mélenchon. Dans cette pétaudière électorale, il n’y a pas un candidat qui ne rêve d’une énorme surprise. Même Dupont-Aignan ! C’est la fête à sainte Mégalomanie. Le moment de toutes les intox. La victoire de Donald Trump et le Brexit autorisent les plus folles conjectures. Sans parler de cette cascade d’événements imprévus : les costumes de Fillon ; la chute précoce des leaders, Sarkozy, Valls, Hollande ; l’effondrement des partis traditionnels ; et subséquemment, l’apparition avec Emmanuel Macron d’une sorte d’hybride politique attrape-tout.

Il faut toujours redire ici que cette situation est d’abord le résultat d’un quinquennat calamiteux, et de trente années d’une politique de mépris pour le peuple. On n’a pas cessé de mettre le couvercle sur la marmite et la marmite explose. On a bafoué la démocratie, et nous voilà sous la menace d’une jacquerie électorale nommée Front national. Du coup, et à contre-courant de tous les conseils que l’on nous prodigue ici et là, il faut d’urgence en revenir à l’essentiel : un vote de conviction. Un vote simple. Faute de savoir où est le « vote utile », et surtout « utile » à quoi, oublions donc les stratégies byzantines.

À gauche, Benoît Hamon ressemble de plus en plus au Chirac de 1995, tel que « les Guignols » le représentaient, avec des couteaux plantés dans le dos. À cette différence près qu’il n’aura pas le temps de susciter ce mouvement de compassion dont Chirac avait finalement bénéficié. Il lui aura manqué l’audace d’une rupture franche avec ses faux amis du Parti socialiste. Côté Mélenchon, c’est un candidat gagné par la tempérance qui se présentera finalement aux suffrages de nos concitoyens. Il le dit lui-même : l’insoumis est devenu stoïcien. D’Épictète, il a hérité les vertus de courage – il n’en manquait déjà pas ! – mais aussi de prudence et de modération. Ce qui n’était pas gagné !

Le voilà donc « philosophe ». Et il est le seul dont on peut dire cela sans une pointe d’ironie. Pour preuve le livre d’entretien qu’il a accordé à la journaliste de L’Obs, Cécile Amar, et paru sous un titre un rien pompeux : De la vertu [2]. On y rencontre un homme qui se dit lui-même « pétri de culture révolutionnaire ». Les méchantes langues diront que c’est la 6e république avec les mots de la Troisième, ou du Chevènement rehaussé d’écologie (y compris avec cet imaginaire international qui nous pose tant problème), mais c’est tellement au-dessus de la pensée politique de ses concurrents que la lecture en est revigorante. On y trouve de la laïcité, bien sûr, beaucoup de laïcité, heureusement étendue à la nécessité de résister « aux injonctions consuméristes » et à ce qu’il nomme « les nouveaux domaines de l’obscurantisme », c’est-à-dire la publicité. Mélenchon finit même par se revendiquer en « personnaliste républicain ». Les mânes du philosophe chrétien Emmanuel Mounier nous emportent cette fois vraiment très loin du « bruit et de la fureur ».

On s’attardera un instant sur cette réflexion à propos de ce qu’il appelle « la bonne monnaie sémantique ». Autrement dit, la recherche du mot juste. Il dénonce les détournements : quand « liberté » donne « libéralisme », et lorsque Manuel Valls ou François Hollande pervertissent le mot « gauche ». Un constat qui a conduit Mélenchon à renoncer à la référence à la « gauche » au profit de « peuple ». Reste à savoir si ce concept n’est pas encore plus flottant. La gauche est volée par François Hollande, mais le peuple l’est par Marine Le Pen. D’où, peut-être, un autre risque de confusion, et un point de départ politique très discutable : ce fameux « populisme » qui ne peut pas être de gauche, comme l’expliquait ici même la semaine dernière le sociologue Éric Fassin. Alors, jusqu’où ira Mélenchon ? Pas jusqu’à l’Élysée sans doute, mais jusqu’à devenir le personnage incontournable du futur paysage politique… à gauche.

[1] Une cote d’amour telle que Mélenchon ne daigne plus accorder d’interview à Politis au prétexte que nous nous sommes prononcés pour un rassemblement des candidats de gauche. Un reste de « bruit et de fureur ».

[2] De la vertu, livre d’entretien avec Cécile Amar, L’Observatoire, 137 p., 5 euros.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes
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