Quand Le Pen révoltait la France…

Le Front national réalise près de cinq points de plus qu’en 2002, mais la réaction du pays est pour le moins timorée.

Pauline Graulle  • 25 avril 2017 abonné·es
Quand Le Pen révoltait la France…
© photo : FRANCOIS GUILLOT / AFP

Marine Le Pen est au second tour de l’élection présidentielle et… rien. En ce dimanche 23 avril, pas de cris de stupeur, pas de mines défaites des journalistes sur les plateaux TV, nul besoin impérieux de quitter son chez-soi pour se rassembler sur une place. Juste le sentiment que ce qui devait arriver arrive. L’extrême droite est au second tour. Avec près de 3 millions d’électeurs de plus qu’en 2002, et plus de 7,6 millions d’électeurs en tout ! Et… rien.

Décidément, la France d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier. Juste aprè le 21 avril 2002, le pays entier descendait dans les rues, aux côtés de tous les partis politiques (sauf LO), de Ras l’Front et même du Medef. Alors, Libé se contentait d’afficher « NON » à sa une, et tout le monde comprenait instantanément le message. Alors, Jean-Luc Mélenchon était socialiste et ne tergiversait pas pour appeler à voter Chirac : « Ne pas faire son devoir républicain en raison de la nausée que nous donne le moyen d’action, c’est prendre un risque collectif sans commune mesure avec l’inconvénient individuel », avertissait-il dans Le Monde.

Saisissant contraste. Dimanche soir, l’insouciant Macron donnait le ton en fêtant joyeusement sa victoire, à ses yeux déjà acquise, entouré de people dans un restaurant du chic VIe arrondissement. L’insoumis Mélenchon attendait de consulter ses militants pour donner une consigne de vote pour le second tour, arguant en substance que Le Pen/Macron, c’est du pareil au même. Les journaux faisaient leurs gros titres sur le leader d’En marche !. Et aucune manifestation monstre ne s’apprêtait à battre le pavé d’un Paris atone.

Que s’est-il passé, en quinze ans, pour qu’une telle tempête politique fasse à peine rider l’eau ? Bien sûr, la France s’est droitisée. Nicolas Sarkozy et Éric Zemmour ont préparé les esprits, surfant sur la « crise des réfugiés » et le terrorisme (forcément) « islamiste ». Comme la grenouille plongée dans une eau dont on monte progressivement la température pour l’ébouillanter, les scores du FN aux élections intermédiaires ont monté peu à peu. Peu à peu, les cris d’orfraie des soirées électorales ont fini par devenir une musique de fond, les sondages plaçant Le Pen en tête en 2017 par faire partie du décor. « Nombre de réactions spontanées aux attentats de Charlie, puis du Bataclan, portaient la défense du caractère pluriculturel de notre société, mais il y a une droitisation de l’offre politique, d’une part, et une montée du confusionnisme banalisant le FN dans la gauche radicale, d’autre part, avec le refus de Mélenchon, de Poutou et d’Arthaud d’appeler à battre Le Pen dans les urnes », estime Philippe Corcuff, maître de conférences à l’IEP Lyon.

Il n’y a certes pas que la société qui a changé, le loup lepéniste se grimant toujours plus habilement en agneau. Fini les dérapages racistes et les éructations. Le FN de 2017 a troqué son agressive flamme tricolore contre une rose bleue cucul-la-praline. De l’illustre paternel, rien n’est resté en apparence, pas même le patronyme de la candidate, devenue une « Marine » sans histoire. Et ce n’est pas le non-événement de ce week-end qui rafraîchira les mémoires.

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