« Nous n’avons que notre résistance pacifique »

Figure de l’activisme actuel, Abdallah Abu Rahma incarne les nouvelles formes de lutte. Il analyse ici la situation.

Donia Ismail  et  Maïa Courtois  • 31 mai 2017 abonné·es
« Nous n’avons que notre résistance pacifique »
© photo : FADI AROURI/POOL/AFP

Originaire de Bil’in, à quatre kilomètres de la « ligne verte », Abdallah Abu Rahma s’est rendu en France, entre deux procès, pour alerter la communauté internationale sur la cause palestinienne. Il avait évoqué devant nous la grève des prisonniers palestiniens alors dans une phase inquiétante. Cette grève conduite par un millier de prisonniers a pris fin après l’obtention de quelques avancées significatives, comme le droit de visite.

Donald Trump est venu très brièvement dans les Territoires palestiniens occupés. Que pensez-vous de cette visite ?

Abdallah Abu Rahma : Pendant la période électorale, toutes ses déclarations étaient en faveur d’Israël. Nous espérons donc que son état d’esprit sur la situation va changer, surtout en ce qui concerne le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. Malgré la dernière décision du Conseil de sécurité de l’ONU d’arrêter l’établissement de colonies, Israël continue à confisquer de plus en plus de terres. Il y a deux jours à peine, des colons ont tué l’un de nos militants palestiniens, sans raison. Donald Trump doit travailler à l’avancée d’un processus de paix. Barack Obama en a parlé pendant huit ans, et c’est seulement dans le dernier mois de sa présidence qu’il s’est investi réellement. On a besoin que Trump s’engage sérieusement dès maintenant. Ce serait un espoir pour tous les peuples, car ce conflit a des conséquences partout ailleurs, pas seulement pour les Israéliens et les Palestiniens.

Bil’in concentre un grand nombre de problématiques liées à l’occupation israélienne. C’est un village qui a une longue histoire de résistance non-violente…

Cela fait douze ans et demi que nous usons de la résistance non-violente contre l’occupation. Et nous avons rencontré des succès. En 2011, nous avons obtenu le déplacement de la ligne du mur, et des fermiers ont pu retrouver les terres qui leur avaient été confisquées. Nos méthodes inspirent d’autres mouvements partout ailleurs. Nous utilisons le sport, les slogans, les chants, la musique, le théâtre… Mais, face à nous, la répression est violente. Lors de notre dernière action, une course de vélos, les soldats israéliens nous ont lancé des grenades lacrymogènes. J’ai essayé de les arrêter, parce qu’il y avait des enfants, des femmes et des personnes âgées. Je me suis mis en face d’eux, et je leur ai dit : « Qu’est-ce que vous faites ? Vous tuez nos amis en faisant cela ! » Ils m’ont immédiatement arrêté. C’était ma sixième arrestation, et j’ai déjà passé un an et demi en prison. La semaine dernière, à Nabi Saleh, ils ont tué l’un de nos amis. Il essayait seulement de défendre pacifiquement les prisonniers politiques en grève de la faim. Ils lui ont tiré dessus à balles réelles.

Comment expliquez-vous cette détermination dans la non-violence, alors que vous faites face à une répression sanglante ? Nelson Mandela utilisait aussi la non-violence, mais il a fini par prendre les armes…

C’est exactement ce que les Israéliens veulent. C’est grâce à nos actions pacifiques que nous avons reçu des soutiens du monde entier, notamment d’Europe. Notre véritable pouvoir, ce sont les réseaux sociaux. Tout le monde peut alors constater la réalité, en dehors de la déformation qu’en font les médias israéliens. Notre pouvoir, c’est surtout de rester debout et de dialoguer, à l’image de ces modèles que sont Gandhi, Nelson Mandela ou Martin Luther King. Les soldats israéliens sont démunis face à notre non-violence. Ils savent seulement faire face à la résistance militarisée. Nous sommes patients, nous continuerons notre lutte de la même manière. Cela prendra du temps : nous avons perdu nos martyrs, nos prisonniers. Mais nous gagnerons.

Vous sentez-vous soutenus par la communauté internationale ?

Notre modèle, celui de notre village, Bil’in, a toujours été soutenu. Mais, en ce qui concerne la cause palestinienne, nous avons besoin de plus d’aide. Nous voulons que la communauté internationale fasse valoir nos droits, qu’elle fasse pression sur Israël, qu’elle boycotte ses produits, qu’elle l’isole, car la communauté internationale a plus d’influence que nous. Nous n’avons rien : ni pouvoir ni armes. Nous n’avons que notre résistance pacifique.

En France, le nouveau président de la République, Emmanuel Macron, a déclaré pendant la campagne qu’il n’était pas nécessaire de reconnaître aujourd’hui un État de Palestine… Qu’attendez-vous de lui ?

J’espère qu’il changera d’avis. Il peut jouer un grand rôle dans ce processus et faire pression sur le gouvernement israélien. Si lui le fait, il pourra encourager les autres pays en Europe et dans le monde à le suivre.

La semaine prochaine, nous allons commémorer les cinquante ans de la guerre des Six-Jours. Aujourd’hui, la solution à deux États est-elle encore possible ?

Je ne parle pas d’un État ou de deux. Ce que je veux avant tout, c’est la dignité, la liberté, l’indépendance et l’égalité pour mon peuple. Depuis les accords d’Oslo, en 1993, nous avons milité pour la solution à deux États, mais, face à nous, le gouvernement israélien construisait encore et encore des colonies, il a détruit notre rêve d’un État palestinien.

Nous aurons gagné le jour où les constructions de colonies cesseront, et quand le mur disparaîtra. Ce que nous voulons, c’est vivre en paix, en liberté. Les Israéliens doivent retirer les postes de contrôle, les colonies, le système d’apartheid. Une fois que tout cela cessera, nous choisirons quelle solution est la meilleure pour nous.

Abdallah Abu Rahma Coordinateur des actions de résistance à Bil’in, en Cisjordanie, il a été nommé défenseur des droits de l’homme par l’Union européenne en 2010.

Monde
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