La détresse de Fabrice Boromée, détenu guadeloupéen en exil forcé

Incarcéré dans l’Hexagone depuis 2011, Fabrice Boromée s’est confronté à l’administration pénitentiaire pour réclamer un transfert en Guadeloupe, dont il est natif. Il le paye au prix fort.

Selim Derkaoui  • 28 juin 2017
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La détresse de Fabrice Boromée, détenu guadeloupéen en exil forcé
© Photo : REMY GABALDA / AFP

9 71 Guadeloupe à vie 100 %. L’ami Fabrice », clôture une lettre du détenu Fabrice Boromée, publiée en janvier dernier dans le journal L’Envolée. Depuis 2011, il est incarcéré contre son gré en France métropolitaine. Il réclame son transfert en Guadeloupe pour voir sa famille, comme il le confie dans l’une de ses lettres. La trentaine, cela va faire maintenant treize ans qu’il est derrière les barreaux. En 2004 puis en 2009, il est incarcéré pour des faits de violence avec arme, puis retourne en prison en février 2010 suite à un vol de scooter qui aurait pu mal tourner. Une condamnation assortie d’une interdiction de séjourner en Guadeloupe, d’où son extradition vers l’Hexagone.

Fabrice Boromée n’est pas tout à fait un détenu comme les autres. Il est ce qu’on appelle un « détenu particulièrement signalé » (DPS), c’est-à-dire qu’il ne sort jamais sans une escorte de surveillants casqués. « En prison, j’ai été obligé de me battre pour ne pas me laisser marcher dessus », livre-t-il dans une lettre. Face au personnel carcéral, Fabrice Boromée n’a pas froid aux yeux et ne tempère pas sa colère. Depuis son arrivée en France, les incidents se multiplient avec le personnel carcéral et les peines s’accumulent. Il souhaite à tout prix faire entendre sa demande de transfert vers la Guadeloupe, mais « la justice répond systématiquement à toutes ses tentatives pour se faire entendre par des peines supplémentaires », précise L’Envolée, et lui refuserait la « détention dite normale ».

Initialement condamné à huit ans de prison, le Pointois d’origine purge actuellement une peine de 28 ans suite à ses déboires. Placé actuellement à l’isolement dans la maison centrale de Saint-Maur dans l’Indre, le Guadeloupéen a déjà connu plus de dix établissements en métropole : Fleury-Mérogis, Lille-Annoeullin, Clairvaux, Lannemezan… Son avocat Benoît David parle ainsi de véritable « tourisme pénitentiaire ».

Un cas est loin d’être isolé

D’après L’Envolée, qui échange avec le détenu depuis maintenant deux ans, l’administration pénitentiaire souhaiterait « éliminer Fabrice Boromée » et « le pousser à bout jusqu’à ce qu’advienne l’irréparable ». « La situation a été fabriquée de toutes pièces », s’alarme un rédacteur de L’Envolée. « Cela met en exergue la contradiction du système pénal, au processus d’allongement des peines interminables », renchérit-il.

Comme Fabrice Boromée, ils sont quelques centaines de prisonniers originaires des Dom-Tom à être incarcérés en France métropolitaine. Une fois qu’ils y sont écroués, il est souvent très difficile pour eux d’envisager un retour en outre-mer, tant la surpopulation carcérale est forte sur ces territoires. Les perspectives de réinsertion sont plus difficiles avec l’éloignement familial, comme l’illustre le Réunionnais Casanova Agamemnon, emprisonné depuis plus de 40 ans.

Ils subissent une incarcération à des milliers de kilomètres car la France est défaillante au niveau de ses prisons d’outre-mer. D’autres prisonniers souhaitent quant à eux partir volontairement en France métropolitaine, à cause des conditions de vie difficiles dans leurs prisons. « L’administration pénitentiaire a l’obligation de favoriser le maintien des liens familiaux », explique François Bès de l’Observatoire international des prisons dans une enquête publiée par France O.

En réalité, l’administration pénitentiaire est souvent confrontée à un dilemme : ne pas respecter la dignité des détenus en les laissant dans certains établissements d’outre-mer, ou alors ne pas respecter ce devoir de maintien des liens familiaux. À cela, le rédacteur de L’Envolée, un brin sarcastique, répond : « C’est franchement difficile d’être dans de pires conditions que Fabrice Boromée en ce moment ! »

« Ils m’ont jeté au mitard en me traitant de sale macaque »

Fabrice Boromée est toujours à l’isolement. L’administration pénitentiaire aurait récemment « transformé sa cellule en mitard (la cellule disciplinaire) » avec une « grille devant la porte. » Fabrice Boromée serait « privé de toute activité », n’aurait « pas le droit de se doucher le week-end » et les « matons » (surveillants) lui jetteraient « sa gamelle à travers la grille comme un chien ». Même son psychologue refuserait de lui rendre visite, sous prétexte des « conditions indignes et incompatibles à l’exercice de ses fonctions », et son médecin se contenterait d’un vague « ça va » avant de repartir. « Menotté et entravé » selon L’Envolée, Fabrice Boromée aurait protesté contre ses conditions en bloquant la douche six heures afin d’obtenir un transfert immédiat en Île-de-France. Résultat : les Eris (équipes régionales d’intervention et de sécurité) sont intervenues et auraient « lancé une grenade assourdissante dans la douche », raconte Fabrice Boromée.

Je suis rentré pour une peine de huit ans et je me retrouve à devoir faire trente-quatre ans de prison parce que je veux rentrer chez moi en Guadeloupe, voir ma famille et surtout mon frère Eddy, pour ne plus subir le racisme, la méchanceté et la persécution des matons…

(extrait de la lettre « Ma vie de taulard », écrite à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en mars 2016 et publiée par L’Envolée en mai 2017.)

« Ils m’ont jeté au mitard comme un chien en me traitant de nègre, de sale macaque », rapporte-t-il dans cette lettre de 2016, lorsqu’il séjournait à Fleury-Mérogis. En 2012, l’administration pénitentiaire lui avait interdit d’assister à l’enterrement de son père.

Depuis, les prises d’otage pour se faire entendre, notamment sur ses conditions de vie, se sont multipliées. Avec un certain Rachide Boubala, à Condé-sur-Sarthe, ils ont détenu un surveillant dans « une salle d’école qui se trouvait au socio » pendant « près de cinq heures. » Puis, les deux hommes ont été transférés en quartier d’isolement : Rachide Boubala à Rouen et Fabrice Boromée à Rennes. « Je leur demande une brosse à dents, et ils me répondent : « Tu vas payer pour la prise d’otage du collègue de Condé » », raconte le détenu guadeloupéen dans sa lettre.

Cyrille Canetti, psychiatre et chef du service médico-psychologique de la maison d’arrêt de la Santé, à Paris, a été retenu en otage cinq heures en 2010 par le détenu Francis Dorffer. « Il m’avait pris en otage pour demander à être transféré dans une prison près de sa femme et de son fils, explique le psychiatre dans un entretien paru dans Libération, alors qu’on lui avait promis le rapprochement. » Le psychiatre dénonçait « les régimes de détention inhumains et l’absence d’espoir qui poussent les détenus à l’extrême. » « De la même façon qu’on dit que le suicide est le dernier acte de liberté, la prise d’otage est une façon d’exister », complétait t-il.

« Cela fait une semaine que je n’ai plus de nouvelles, s’inquiète un rédacteur de L’Envolée, Fabrice n’entend plus d’une oreille, on refuse de l’examiner. Il est très loin d’être fou. » Dans un compte rendu de procès de janvier 2016, à Douai, le juge demande à Fabrice Boromée comment il envisage son « avenir ». Le Guadeloupéen insiste une nouvelle fois : « Je veux rentrer chez moi, en Guadeloupe. Et tant que je ne serai pas entendu … » « Vous allez continuer ? », lui rétorque le juge. Fabrice Boromée hoche la tête… et finit par prendre six ans de plus.

Société Police / Justice
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