Trump jette un froid

L’annonce par le Président de la sortie de l’Accord de Paris a suscité de vives critiques dans le pays, où la question climatique est malgré tout devenue un sujet de préoccupation.

Alexis Buisson  • 7 juin 2017 abonné·es
Trump jette un froid
© photo : SHAWN THEW/Shawn Thew - Pool via CNP/DPA/AFP

A fin de remplir ma mission solennelle de protéger le peuple des États-Unis et ses citoyens, les États-Unis se retireront complètement de l’Accord de Paris. » Depuis plusieurs mois, on disait que Donald Trump « évoluait » sur sa promesse de campagne de quitter l’accord conclu en 2015 dans la capitale française. On disait que sa fille, Ivanka, « pro-Paris », était en train de le faire changer d’avis et que ses entretiens avec les leaders de plusieurs pays, dont la chancelière allemande Angela Merkel et le Président français Emmanuel Macron, ne pouvaient pas le laisser indifférent. Or, le 1er juin, derrière le pupitre présidentiel du Rose Garden, jardin de la Maison Blanche, le nouveau Président états-unien a mis un terme aux supputations. « J’ai été élu pour représenter les citoyens de Pittsburgh, pas de Paris », a-t-il lâché en référence aux ouvriers de la ville industrielle de Pennsylvanie, promettant de renégocier un « meilleur » pacte.

Plus d’une semaine après cette annonce fracassante, les remous se font encore sentir. Lundi 5 juin, l’ambassadeur états-unien en Chine par intérim, David Rank, diplomate depuis 1990, a annoncé sa démission en raison de la position du Président. Dirigeants politiques, associations, grands patrons, villes, États, université, experts : sitôt la décision connue, Donald Trump a été la cible d’une salve de critiques. Michael Brune, président de l’influente organisation environnementale Sierra Club, a dénoncé une « décision honteuse avec des conséquences historiques ». Près de 1 200 élus locaux, chefs d’entreprise, gouverneurs et présidents d’université ont signé une lettre ouverte au Président pour réaffirmer leur engagement pour l’accord de Paris en dépit de « l’absence de leadership » à Washington. Et plus de 200 maires se déclaraient « Climate Mayors » (« maires du climat ») promettant d’œuvrer à la réalisation des engagements contenus dans le texte.

Trump roule à contresens

La décision du président états-unien de retirer son pays de l’Accord de Paris sur le climat a suscité une réprobation diplomatique généralisée dans le monde. À l’exception prévisible de Poutine, ce qui n’est pas un hasard : le climato-scepticisme des deux dirigeants se fonde largement sur le refus de voir le monde tel qu’il est devenu depuis que leurs États ne se partagent plus la domination de la planète.

Parce que tous les pays se retrouvent sur le même pied face aux conséquences du dérèglement climatique, la coopération sincère et unanime des ­gouvernements est indispensable. L’Accord de Paris, bien que peu ambitieux, est le premier pacte de cette nature. En le rejetant, Trump se place tout seul du mauvais côté de l’histoire. La crainte d’un possible « effet domino » – l’entraînement d’autres gouvernants à sa suite – apparaissait déjà peu fondée au lendemain de son élection [1], elle s’est totalement évanouie : les grandes puissances ont toutes réaffirmé leur volonté de respecter l’Accord – « irréversible », « non renégociable », etc. Mieux : des forces américaines considérables, dont le géant pétrolier Exxon, longtemps ­climato-négationniste, se désolidarisent de Trump, car le monde des affaires perçoit le risque économique d’un retard dans la transition énergétique – ce que la Chine a parfaitement compris.

António Guterres résume l’ambiance générale : cette décision « n’est pas un choc » mais une « immense déception ». Le secrétaire général de l’ONU avait tenté, en vain, de raisonner le président des États-Unis, qui apparaît plus que jamais comme un gamin têtu et irresponsable.

Patrick Piro

[1] Lire Trump peut-il faire la pluie et le beau temps ? dans _Politis n° 1428, du 17 novembre 2016.

Plusieurs grandes entreprises internationales et états-uniennes, qui avaient publiquement défendu l’accord, ont également dénoncé le retrait et promis de poursuivre à leur échelle le combat contre le changement climatique. Parmi elles, des poids lourds de la tech comme IBM, Apple, Intel, ou encore Facebook et Google. Mais aussi des grands noms du secteur énergétique comme le géant pétrolier Exxon, dont l’ancien président devenu secrétaire d’État, Rex Tillerson, était pour l’accord, ainsi que Chevron, British Petroleum (BP) et la compagnie d’électricité General Electric. « Le changement climatique est une réalité. L’industrie doit montrer l’exemple et ne plus dépendre du gouvernement », a fait valoir le dirigeant de cette dernière entreprise, Jeff Immelt. Un sentiment partagé par de nombreux autres PDG de premier plan dont Elon Musk, influent président du constructeur automobile Tesla et de la société d’aérospatiale SpaceX. Quelques minutes après l’annonce de Trump, il a annoncé sa démission du conseil économique du Président, auquel il participait avec d’autres hommes d’affaires. Le PDG de Disney lui embrayera le pas quelques minutes plus tard.

« Tous les signes montrent que les États et les villes vont redoubler leurs efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Plusieurs initiatives de développement d’énergies propres ont été lancées aux États-Unis ces dernières années. Il existe donc des exemples pour montrer que ce secteur peut ouvrir des opportunités économiques et créer des emplois solides », affirme Michael Wara, professeur à l’Institut de l’université Stanford pour l’environnement.

Si la décision de Donald Trump a suscité des réactions aussi vives, c’est que la question du changement climatique est discrètement montée en puissance ces dernières années au sein de l’opinion publique outre-Atlantique. Six États-Uniens sur dix se disent « inquiets » du phénomène et 20 % « très inquiets », selon une récente étude de Yale. Dans une autre étude, effectuée celle-ci par le très sérieux institut de recherche Pew, la proportion des « très inquiets » bondit à 45 %. Quand les citoyens sont sondés sur des mesures spécifiques, les enquêtes montrent qu’ils sont une majorité à soutenir, par exemple, le développement du solaire et de l’éolien ainsi que la taxation des industries polluantes. C’est la conséquence de la multiplication d’épisodes climatiques extrêmes ces dernières années, à l’image de la tempête tropicale Sandy qui a frappé New York, des forte pluies au Texas et d’intenses périodes de sécheresse en Californie et dans le centre du pays.

Phénomène nouveau : l’inquiétude progresse au sein de l’électorat républicain. Il ressort d’une étude conjointe menée par les universités Yale et George-Mason que 47 % des électeurs républicains qui se décrivent comme « conservateurs » estiment que le changement climatique est une réalité. Soit une augmentation spectaculaire de 19 points en deux ans seulement.

Les États-Uniens se montrent également favorables à la coopération internationale pour lutter contre le changement climatique. L’université Yale, qui possède un département spécialisé dans l’étude de la perception du changement climatique, a trouvé dans une enquête parue en mai qu’une majorité de sondés dans tous les États américains soutient l’Accord de Paris. Plus inquiétant pour Donald Trump : 47 % des personnes interrogées s’identifiant comme ses électeurs veulent que les États-Unis se maintiennent dans l’accord – les opposants représentaient 28 % et les sans opinion 25 %.

Les entreprises ont bien compris cette évolution, ce qui explique en partie pourquoi autant d’entre elles sont montées au créneau pour défendre l’accord. Elles y voyaient aussi leur intérêt économique. Des fleurons du secteur de l’énergie, comme Exxon, craignent de possibles répercussions commerciales négatives du retrait, tandis que d’autres voient dans le développement des énergies propres un gisement d’emplois et de croissance.

Mais les vents contraires persistent. Donald Trump, qui a comparé le changement climatique à un « canular » pendant la campagne présidentielle de 2016, s’est entouré de climatosceptiques notoires, à commencer par Scott Pruitt, qu’il a nommé à la tête de l’EPA, l’agence de protection environnementale états-unienne. En dehors de la Maison Blanche aussi, les sceptiques demeurent dans les hautes sphères du pouvoir. Le sénateur Mitch McConnell, chef de la majorité républicaine au Sénat, est issu d’un État, le Kentucky, où l’industrie du charbon est encore très présente. La commission des sciences de la Chambre des représentants est, elle, dirigée par un élu texan, Lamar Smith, qui a dépeint les conclusions de chercheurs sur le changement climatique comme autant d’« exagérations, motivées par des ressors personnels » et de « prévisions douteuses ». « La plupart des républicains ne voient pas le changement climatique comme un canular, souligne Whit Ayres, un consultant politique républicain. Mais tout le débat sur le changement climatique est coloré par la polarisation de la vie politique américaine. D’une certaine manière, le climat est devenu un marqueur de plus pour déterminer si on est un bon républicain. »

Mais les lignes bougent. Plusieurs élus républicains des États du littoral comme la Californie et la Floride, menacés par la montée des eaux, travaillent localement avec des démocrates pour tenter d’enrayer la dynamique. En février 2016, un groupe d’élus des deux bords s’est formé au sein de la Chambre des représentants afin de travailler sur des propositions de lois allant dans ce sens. Le groupe compte notamment un républicain de Californie, Darrell Issa, qui fut un climato-sceptique bien connu. Il n’y a pas que le climat qui change, heureusement.

Pour aller plus loin…