Saint John Coltrane, une vie sans limites

Un demi-siècle après la disparition du célèbre saxophoniste américain, le monde du jazz n’en finit pas de revisiter son œuvre.

Lorraine Soliman  • 26 juillet 2017 abonné·es
Saint John Coltrane, une vie sans limites
© PHOTO : AFP

En 2017, John Coltrane aurait eu 91 ans. Ce qu’une vie plus longue de cinquante années aurait permis à son intelligence hors-norme de concevoir dépasse nos capacités d’imagination. Il suffit de se pencher sur l’extraordinaire intensité de sa carrière pour le comprendre. Du début des années 1950 à 1967, on compte généralement quatre grandes étapes de création qui recouvrent et outrepassent les périodes stylistiques propres à l’époque – particulièrement dense, puisqu’elle commence au crépuscule de la première révolution de l’histoire du jazz, le be-bop, et se termine à l’aube d’un second cataclysme, le free-jazz.

Du be-bop, avec sa réinvention du système harmonique, Coltrane est un adepte de la première heure. À 23 ans, il est engagé dans le grand orchestre de Dizzy Gillespie qui, gage d’une estime rare, le garde à ses côtés lorsque des problèmes financiers l’obligent à réduire sa formation. Travailleur acharné, passionné de théorie, Coltrane assimile très tôt les prouesses de l’incontournable Charlie Parker. Il devient un hard-bopper accompli au sein du quintet historique de Miles Davis.

Nous sommes au milieu des années 1950, le public du jazz commence à bien le connaître. Mais il n’a encore rien vu ni entendu : Coltrane, qui a également fréquenté le phénoménal Thelonious Monk, avance à pas de géant dans l’invention de son propre style, lequel fera vite exploser les cadres esthétiques du jazz. Sa technique des « nappes de son » [1], que les morceaux « Giant Steps » et « My Favorite Things » (1959 et 1960) illustrent magistralement, traduit une pensée musicale d’une immense rapidité, servie par une habileté motrice exceptionnelle. Avant de passer à la période modale, qui se concentre sur la mélodie en exploitant sans relâche les modes qui lui sont proches.

Coltrane devient l’un des plus grands compositeurs-interprètes de ballades de son époque. Explorateur insatiable, il prend très tôt le tournant du free-jazz, mais sans jamais annihiler les précédentes étapes de sa quête incessante. Une vie de recherche musicale augmentée d’un impératif spirituel croissant, qui prend fin prématurément le 17 juillet 1967.

Et le souffle continue. Tout dans la personnalité de Coltrane et dans son parcours de musicien semble concourir à la construction d’une figure mythique. À l’exception peut-être d’une enfance heureuse et protégée. La mort successive de son père et de son grand-père, preacher très respecté de l’Église baptiste de High Point (Caroline du Nord), marquent un point de bascule dans la vie du jeune garçon. La musique devient un refuge dans une existence de plus en plus tourmentée.

Porté par le désir inébranlable de devenir un musicien de premier plan, Coltrane s’acharne dans le travail et développe une connaissance prodigieuse de l’harmonie. Corollaire malheureusement fréquent chez les jazzmen de sa trempe, il s’adonne très tôt à un usage immodéré d’alcool et d’héroïne. Mais la véhémence de sa passion intervient à temps : au moment où son organisme commence à le lâcher, il refuse la fatalité et s’engage seul dans une cure de désintoxication. Pendant quelques jours, enfermé dans sa chambre, il ne s’alimente plus et remplace sa pratique frénétique du saxophone par l’eau et la méditation.

Parallèlement, son intérêt pour les religions orientales s’est démultiplié. Son célèbre morceau « A Love Supreme » (1965), offrande à Dieu, est l’apogée de ce grand réveil, qui participe à la construction d’une nouvelle icône du jazz, « J. C. », dont la vénération conduira certains fans à créer la Saint John Coltrane Church, à San Francisco.

Sur un plan strictement musical, « ce n’est pas Coltrane qui a donné le coup d’envoi de l’universalité du jazz, explique François-René Simon dans Jazz Magazine (janvier 2000), mais elle a connu avec lui une formidable accélération. » Et depuis lors, une filiation intarissable.

[1] L’expression fut inventée par le journaliste américain Ira Gitler.

Musique
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