La fable du « ruissellement »

La richesse ne ruisselle pas vers le bas, elle est pompée par le haut.

Jean Gadrey  • 4 octobre 2017 abonné·es
La fable du « ruissellement »
© PHOTO : Bill Holden / Cultura Creative / AFP

Les néolibéraux, l’oligarchie au pouvoir et leurs relais dans les grands médias mettent en avant depuis des décennies une métaphore délibérément trompeuse pour justifier l’enrichissement indécent des très riches dans un océan de pauvreté et de précarité.

On doit la caricature la plus récente de ce mythe à Nicolas Doze, éditorialiste sévissant actuellement sur BFM, un authentique chien de garde du capitalisme financier. Il a délivré le 12 septembre dernier sur BFM Business un plaidoyer ardent en faveur des riches. Oui, admet-il sans sourciller, la politique actuelle consiste bien à multiplier les cadeaux aux riches. Dont acte. Mais c’est une excellente chose ! Pourquoi ? : « Le seul moyen d’avoir de la richesse dans un pays, c’est d’avoir des riches »« Laissez faire ceux qui ont de l’argent. » C’est bon pour tout le monde car alors la richesse créée par ces riches, qui investissent et boostent la croissance, « ruisselle » sur toute la société.

C’est un tissu d’affabulations. Les cadeaux aux riches et aux grandes entreprises ont commencé à grande échelle dès les années 1990 et surtout 2000, via une fiscalité allégée sur les hauts revenus et sur les bénéfices des entreprises, avec notamment la création de niches multiples. Via aussi et surtout les « allégements » de cotisations sociales patronales, dont le CICE, qui ont explosé : environ 4 milliards d’euros par an à la fin des années 1990, 21 milliards par an de 2006 à 2012, près de 50 milliards en 2016 [1] ! A-t-on observé pendant ces vingt ans un « ruissellement » réduisant la pauvreté et les inégalités ? C’est l’inverse qui s’est produit…

Ensuite, prétendre que ces cadeaux et ces niches pour riches et pour le capital vont favoriser l’investissement dans l’économie réelle est une autre fable, surtout dans le cadre du capitalisme financier et boursier. L’épargne grossissante des plus riches s’oriente massivement vers les placements financiers, alimentant des bulles à hauts risques, et cela va se renforcer avec les nouveaux cadeaux fiscaux « made in Macron » sur les revenus et les patrimoines financiers. Selon le FMI, dans la zone euro, l’investissement a chuté de 24 % du PIB en 2007 à 19,9 % en 2016. Et pourtant, presque partout, les très riches et les entreprises ont été choyés.

Enfin, pas de chance pour Nicolas Doze et ses semblables, le FMI lui-même avait publié en juin 2015 une étude portant sur une centaine de pays montrant que plus la fortune des riches s’accroît, moins forte est la croissance (donc ça ruisselle moins…). Et la même année, l’OCDE, qui n’est pas vraiment une officine de gauche, titrait un gros rapport ainsi : « Pourquoi moins d’inégalité bénéficie à tous ».

Depuis au moins deux décennies, en France et dans la plupart des pays « riches », la richesse ne ruisselle pas vers le bas, elle est pompée par le haut, parce que le rapport de force est déséquilibré en faveur des acteurs dominants du capitalisme. La métaphore naturaliste du ruissellement a pour fonction de dissimuler leurs stratégies d’accaparement des richesses économiques.

[1] Alternatives économiques, Marc Chevallier, 8 septembre.

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