Annulation d’un rassemblement en mémoire de Wissam El-Yamni

Six ans après sa mort, le rassemblement en souvenir de Wissam El-Yamni à Clermont-Ferrand a été interdit par la préfecture, suite à la mobilisation de trois syndicats policiers. Farid El-Yamni, son frère à l’initiative de la manifestation, revient sur les événements.

Malika Butzbach  • 22 novembre 2017
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Annulation d’un rassemblement en mémoire de Wissam El-Yamni
Photo : Farid El-Yamni et son père, lors de la Marche pour la dignité, le 31 octobre 2015 à Paris (©Michel Soudais)

Le 18 novembre, la famille El-Yamni organisait un rassemblement en hommage au jeune homme au jardin Lecoq à Clermont-Ferrand. Avec l’autorisation de la municipalité, ils avaient prévu de planter un arbre et d’ériger une stèle à la mémoire de Wissam El-Yamni, mort suite à une interpellation policière, le soir du nouvel an 2012. Mais ce rassemblement a créé un mouvement d’opposition des syndicats policiers et a finalement été interdit par la préfecture. Farid El-Yamni, le frère de Wissam, raconte et analyse cette fausse polémique.

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Pourquoi vouliez-vous organiser ce rassemblement ?

Farid El-Yamni : Nous nous sommes rendu compte que Wissam était essentialisé comme victime des violences policières : lorsqu’on évoquait son nom, on pensait davantage aux circonstances de sa mort qu’à lui. Le but de ce rassemblement était de parler de lui en tant que mari, fils, frère et Clermontois. D’ailleurs le rassemblement n’était pas public. Mais des syndicats de police (Alliance, Synergie et CGP-Police, NDLR) ont crié à la polémique, or ce sont eux qui ont créé et entretenu cette polémique. Le rassemblement était autorisé par le maire de Clermont, Olivier Bianchi (PS), donc ce que nous faisions était légal. Dans une interview à La Montagne, le préfet du Puy-de-Dôme a expliqué qu’il n’interdisait pas la cérémonie mais appelait à son annulation. Les syndicats se sont élevés contre ce rassemblement et ont adressé un courrier au ministre de l’Intérieur, invoquant _« l’honneur des policiers nationaux, le respect des institutions judiciaires ».

C’est suite à cela que la cérémonie a été interdite par la préfecture ?

Le préfet Jacques Billant a subi une pression je pense, du coup il nous a laissé le choix : soit il interdisait le rassemblement, soit nous l’annulions. C’était un peu comme aller de Charybde en Scylla. Mais nous ne sommes pas naïfs, nous avons tenu à ce que le rassemblement se fasse. La veille, le 17 novembre, le préfet a finalement dû trouver une raison pour l’annuler : le motif de risque de trouble à l’ordre public. Sachant que ce risque venait de la contre-manifestation que menaçaient d’organiser les syndicats policiers, nous n’étions même pas mis en cause ! Il est allé au plus simple : la préfecture aurait pu interdire la contre-manifestation. D’autant que les policiers n’ont pas le droit de manifester pendant leur service.

Comment avez-vous réagi face à cette interdiction ?

Ma mère a eu ce mot qui résume bien notre situation : « Ils veulent nous maintenir dans le malheur. » On a l’impression que, à partir du moment où l’on aborde les violences policières, on ne peut pas parler. Donc on ne peut pas parler de mon frère. Personnellement, je ne suis pas surpris de la réaction des syndicats. Ils ont même demandé au maire de Clermont de « faire amende honorable », ça ressemble beaucoup à des pratiques mafieuses, non ? Je suis beaucoup plus choqué par la position du préfet qui ne s’est pas montré à la hauteur de ses responsabilités. Si lui ne respecte pas la légalité, qui le fera ? Dans un communiqué, nous avons constaté que les autorités de l’État n’ont pas été en mesure de faire respecter la liberté de réunion et de manifestation. Cette « polémique » autour de la cérémonie montre ce qui bloque dans le dossier de mon frère : le droit n’est pas respecté.

Et où en est l’enquête concernant la mort de votre frère ?

La chambre d’instruction doit réétudier les causes médicales de sa mort, neuf jours après son interpellation. L’autopsie préliminaire évoquait une compression des artères carotides internes lors du transport en voiture de police. De même, l’IGPN avait relevé l’emploi de la technique du pliage lors du transport de Wissam au commissariat. Un rapport d’expert avait envisagé qu’un « cocktail toxique », mélange de drogue et d’alcool, avait entraîné un arrêt cardiaque. En avril dernier, les avocats ont apporté des éléments contredisant cette hypothèse, mais la justice traîne. Ils ont nommé le collège d’experts chargé d’étudier les causes de la mort sept mois plus tard, il y a une semaine seulement ! Comme excuse, on nous a expliqué qu’il y avait un problème de greffier. Le fait est que, six ans après, on ignore encore comment mon frère est mort.

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