« Tharlo », de Pema Tseden : L’homme qui cherchait son identité

Le nouveau film du cinéaste tibétain Pema Tseden confronte à la ville un berger solitaire et doux doté d’une mémoire stupéfiante. Un atout mais aussi un talon d’Achille.

Ingrid Merckx  • 20 décembre 2017 abonné·es
« Tharlo », de Pema Tseden : L’homme qui cherchait son identité
© photo : E.D. Distribution

Il s’appelle Tharlo, mais ignore qui lui a donné son nom. Il a une mémoire phénoménale : jusqu’à l’âge de 9 ans, à l’école, il a mémorisé plusieurs discours du président Mao. Puis il a perdu ses parents. Ses proches l’ont négligé. Pour survivre, on lui a conseillé de devenir berger : il se souviendrait du nombre de moutons, de leur provenance, de leurs couleurs. Il a commencé par en garder un peu plus de 150. Jusqu’à 375 aujourd’hui. Il sait lesquels ont des taches, combien ont des cornes, combien sont blancs, noirs, combien ont été emportés par le blizzard.

Quand on l’envoie en ville se faire faire une carte d’identité, Tharlo part avec un agneau en bandoulière, qu’il nourrit au biberon. Comme il ne s’est pas lavé les cheveux depuis des mois (avec la « petite natte » dans le dos qui lui vaut son surnom, Arlo), la photographe lui conseille un shampoing dans le salon d’en face. La coiffeuse, petite fée belle comme le jour, lui masse le crâne avec une infinie douceur… Coup de foudre ou calcul de la demoiselle qui a flairé le pigeon descendu des montagnes ?

Pema Tseden, considéré comme le fondateur du cinéma au Tibet, où cet art n’est ni populaire ni ancien, va-t-il se livrer à un développement sur la ville qui avale et corrompt jusqu’au plus pur dans une civilisation où chacun semble avoir été d’abord berger ? Ou sur la place pour un « partenaire de jeu » quand on est berger, orphelin et célibataire ?

Tharlo a une classe folle, le personnage comme le film. Pema Tseden alterne plans fixes et larges dans des noir et blanc somptueux qui donnent une grande profondeur à cette quête identitaire et métaphysique. Tharlo voudrait servir le peuple, comme l’a enseigné le président Mao aux élèves tibétains, mais aussi que sa mort pèse un peu plus qu’une plume. Ne pas être qu’un pion, un citoyen lambda, oublié de tous. Aimé de personne.

La scène chez la photographe est une mise en abyme quasi burlesque de cette quête : un couple de jeune mariés se fait immortaliser en tenue traditionnelle tibétaine devant des décors qui varient de la campagne à la place Tienanmen, puis à New York. « Quelque chose ne va pas », glisse alors la photographe, leur recommandant d’enfiler des « tenues occidentales » pour poser devant « la grosse pomme ».

Les jeunes mariés s’exécutent, avec le même air figé, le même sourire crispé qui ne devient authentique que lorsque l’épouse saisit l’agneau de Tharlo qui bêle à côté. Là, le moment est vrai et la photographe tient son portrait, aidée par Pema Tseden et son sens aigu de la mise en scène.

Tharlo, le berger tibétain, Pema Tseden, 2 h 03, sortie en salles le 3 janvier.

Cinéma
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