Ces guerres qui détruisent la faune sauvage depuis des années

Une étude publiée par la revue Nature confirme que les conflits armés menacent toutes les espèces, en Afrique comme en Asie.

Claude-Marie Vadrot  • 15 janvier 2018
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Ces guerres qui détruisent la faune sauvage depuis des années
© PHILIPPE-ALEXANDRE CHEVALLIER / BIOSPHOTO

La revue Nature vient de publier une étude rappelant que les grands mammifères et d’autres espèces protégées étaient essentiellement menacés par les guerres, qu’elles soient civiles et internes ou qu’elles soient internationales et postcoloniales. Un chiffre de cet article scientifique le rappelle : 71 % des espaces protégés africains, réserves ou parcs nationaux, ont été affectés par de longs conflits depuis 1946. Cette statistique repose sur l’étude de l’évolution de 253 populations de 36 espèces de mammifères, petits ou grands, observées dans 126 espaces préservés de 19 pays africains.

Les diminutions ou disparitions de troupeaux sont liées à plusieurs facteurs. Il y a d’abord, pour les éléphants, les rhinocéros et de nombreux ongulés, un braconnage qui sert à alimenter les caisses des différentes factions armées qui ont besoin de pouvoir acheter des armes. Sans négliger bien sûr les méfaits des trafiquants qui alimentent les réseaux internationaux qui revendent l’ivoire des éléphants et la poudre de corne de rhinocéros en Asie et au Moyen-Orient. Et sans oublier les ramures d’ongulés ramenés en Europe et aux États-Unis comme trophées de chasse [1].

Pour la viande

Il y a ensuite, notamment pour les grands singes, l’utilisation de leur viande pour nourrir les « rebelles » ou les troupes régulières mal payées. Une chasse systématique qui entraîne aussi la raréfaction des antilopes, des gnous, des zèbres, des okapis, des buffles et même des girafes. Il suffit, pour comprendre, d’étudier le triste état faunistique du parc national des Virunga, à la frontière de la république démocratique du Congo et du Rwanda : les bandes armées, les troupes congolaises, les chefs de guerre devenus exploitants clandestins de minerais rares comme le coltan, et l’afflux des réfugiés ont entraîné des baisses irrémédiables de la petite et grand faune. Ceci en dépit du dévouement des gardes congolais de ce parc dont près de 200 ont été tués au cours des dix dernières années.

Migrations impossibles

Enfin les affrontements, les incendies et les défrichages transforment des zones de plus en plus importantes en désert animaliers ou végétaux au sein desquels de plus en plus d’espèces, carnivores ou herbivores, ne peuvent plus se nourrir et disparaissent. C’est le cas du Congo, mais aussi de la Somalie, de la Libye, de la Birmanie ou du nord du Kenya. D’autant plus que les zones de conflit coupent les trajets habituels de migration saisonnière d’une région ou d’un pays à l’autre

Il y a également l’impuissance des pouvoirs en place à mettre fin à ce prélèvement. D’abord parce qu’ils sont souvent complices, ensuite parce qu’ils ont d’autres problèmes à résoudre et enfin parce que les chasses clandestines et les trafics représentent, pour les populations, un moyen de survivre dans un univers de pénurie.

Deux des auteurs de cette étude, Robert Pringle, de l’université de Princeton et Joshua Daskin, écologiste de l’université de Yale, ajoutent d’ailleurs :

Cette situation empêche, même lorsqu’ils le souhaitent, les gouvernements de faire face à leur devoir de conservation, cela empêche la constitution de sociétés stables en accroissant la pauvreté, entraîne le déplacement des populations sur des espaces protégés et aussi le retrait des ONG vouées à la protection des espèces. Et également cela affaiblit la force des lois existantes, ce qui conduit fréquemment à une augmentation du braconnage.

La situation est souvent la même, mais pas encore documentée avec précision, dans les pays asiatiques en proie à des conflits armés. Avec un contre-exemple peu connu : la frontière et le no man’s land qui séparent les deux Corées sur le 38e parallèle, sont devenus un véritable parc national avec le retour de nombreuses espèces protégées dont le tigre de l’Amour, le loup et l’ours, sur un espace d’où la guerre a disparu depuis plus de 50 ans.

[1] Une des dernières décisions de Trump : lever l’interdiction d’importer des défenses d’éléphants et des trophées de chasse aux États-Unis.

Monde Écologie
Temps de lecture : 4 minutes
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