« Une saison en France », de Mahamat-Saleh Haroun : Délit d’existence

Dans Une saison en France, Mahamat-Saleh Haroun raconte le sort d’un demandeur d’asile en quête d’une nouvelle vie.

Christophe Kantcheff  • 31 janvier 2018 abonné·es
« Une saison en France », de Mahamat-Saleh Haroun : Délit d’existence
© photo : Franck Verdier/Pili Films

Bien que vivant en France depuis plus de 35 ans, Mahamat-Saleh Haroun, cinéaste tchadien, n’avait jusqu’ici tourné qu’en Afrique, dont le remarquable Grisgris (2006). Une saison en France est son premier film de l’exil. Et c’est logiquement le sort d’un demandeur d’asile qu’il raconte. Abbas (Eriq Ebouaney) a quitté la Centrafrique en guerre, où il était professeur de français, avec ses deux enfants, Yacine (Ibrahim Burama Darboe) et la petite Asma (Aalayna Lys). Sa femme les accompagnait mais a péri pendant le voyage.

Hanté par ce passé, Abbas essaie de construire une autre vie dans la banlieue parisienne. Il est amoureux de Carole (Sandrine Bonnaire), qui travaille avec lui sur les marchés. Ses enfants sont scolarisés. Il habite dans des appartements qu’on lui prête. Et effectue les démarches requises pour obtenir le statut de réfugié. Mais l’administration lui oppose des refus successifs.

Outre qu’il adopte le point de vue des réfugiés, le film ne fait jamais de cette histoire matière à héroïsation. À cet égard, c’est l’anti-Welcome. Il n’est pas question ici de la grandeur d’âme ou de la générosité du Blanc quinquagénaire. Même si Carole, elle aussi, sait affronter sans faiblesse la menace du délit de solidarité.

Une saison en France est une chronique de la vie quotidienne de gens qui s’aiment, ce qui est assez banal. Sauf que cela leur est refusé. Mahamat-Saleh Haroun filme les conséquences de cette impossibilité de vivre normalement : la précarité non seulement matérielle, mais existentielle (tant pour Abbas que pour Carole) ; le sentiment de rejet ; le désespoir qui gagne.

Abbas a un frère, Étienne (Bibi Tanga), qui, lui, était professeur de philosophie. Il est aujourd’hui vigile et vit dans un abri de fortune, une cabane en bois près du canal de l’Ourcq, à Paris. Il aurait pu supporter cette condition s’il avait reçu un signe d’accueil de la part du pays où il a émigré. Le geste de violence radicale qu’il commet contre lui-même dans les locaux de l’administration est le seul moment spectaculaire du film. C’est la crête d’un drame intime et collectif dont l’État français est le seul responsable.

On saura gré à Mahamat-Saleh Haroun d’avoir su éviter le pamphlet et le pathos. Une saison en France est à l’aune de ses films africains : la tragédie qui en émane s’y déploie sans effets de cinéma. Sauf dans ses ultimes secondes. Mais, devant le bref regard caméra de Sandrine Bonnaire, le spectateur ne peut que se sentir bouleversé et concerné.

Une saison en France, Mahamat-Saleh Haroun, 1 h 37.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes