Quand Balzac se démenait dans Paris…

Fin spécialiste de Paris et son histoire, Éric Hazan suit Balzac dans les rues de la capitale, que le vieux « lion » arpenta toute sa vie. Enthousiasmant.

Olivier Doubre  • 28 février 2018 abonné·es
Quand Balzac se démenait dans Paris…
La maison de Balzac, rue Berton, dans le XVIe arrondissement de Paris.
© Gilles Targat/AFP

À nous deux, Paris ! » Le défi célèbre est lancé fiévreusement par Rastignac, les yeux sur l’horizon, du haut du cimetière du Père-Lachaise. Fraîchement débarqué dans la capitale, le « jeune lion » du Père Goriot, « roman de formation » comme le souligne Éric Hazan, s’apprête à se confronter à l’univers de la grande ville. L’adresse déclamée par Rastignac pourrait sans doute résumer le rapport du grand Balzac à la capitale. Né à Tours, il arrive à Paris à l’âge de 14 ans ; sa famille s’installe dans le populaire quartier du Temple, son père venant d’être nommé « directeur des vivres de la première division militaire ». Le jeune Honoré sera parisien trente-cinq ans durant et déménagera une bonne dizaine de fois (souvent sous de fausses identités), essentiellement pour échapper à ses créanciers. Vivre à Paris, qui le fascine d’emblée, est donc une sorte de combat sans cesse renouvelé. D’abord imprimeur, il fait faillite très jeune, et les dettes de cette première entreprise le poursuivront presque toute sa vie. Il se met alors à écrire, d’abord sous pseudonyme, puis de son vrai nom, et construit l’immense Comédie humaine.

Dès 1830, dans l’un de ses premiers courts textes intitulé Le Mendiant, Balzac proclame son grand attachement, un brin fasciné, pour la capitale : « Pour moi, Paris est une fille, une amie, une épouse, dont la physionomie me ravit toujours parce qu’elle est pour moi toujours nouvelle. Je l’étudie à toute heure et chaque fois j’y découvre des beautés neuves. Elle a des caprices, elle se voile sous une pluie, pleure, reparaît brillante, illuminée par un rayon de soleil qui suspend des diamants à ses toits. Elle est majestueuse, ici ; coquette, là ; pauvre, plus loin ; elle s’endort, elle se réveille, elle est tumultueuse ou tranquille. »

Auteur de L’Invention de Paris en 2002 [1] et de plusieurs autres ouvrages sur la capitale, Éric Hazan, marcheur infatigable dans les rues parisiennes, suit, dans une passionnante odyssée citadine, le grand Balzac au fil de ses romans. Si les lieux en province de la Comédie humaine (Issoudun, Langeais, Sancerre, Besançon, etc.) ne sont pas ignorés, c’est bien avec Paris que Balzac noue une d’histoire à la fois d’amour et de détestation. Car la capitale est, explique l’auteur, « l’épicentre » de la grande œuvre balzacienne, que ce soit du côté des miséreux ou des aristocrates et grands bourgeois, d’un quartier l’autre. On découvre donc avec un plaisir mêlé de curiosité Balzac au fil de son œuvre, de son existence – ses démêlés avec ses éditeurs – et de ses pas, dans une ville pleine de boue où l’on a tôt fait de « se crotter », entre ses courses chez ses imprimeurs et ses marchands de cafés, chez ses maîtresses ou ses nombreux amis. À l’instar du mot de Baudelaire, ce beau livre est ainsi une exploration de « la cathédrale balzacienne » et, en même temps, une grande enquête sur son architecte…

[1] On conseille notamment la magnifique réédition en grand format avec illustrations de ce livre, parue au Seuil en 2012.

Balzac, Paris Éric Hazan, éd. La Fabrique, 216 p., 14 euros.

Idées
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