Sonia Krimi, députée LREM : « Je refuse la suspicion qui pèse sur les étrangers »

Sonia Krimi a exprimé des positions qui tranchent avec les orientations de la politique migratoire du Premier ministre.

Ingrid Merckx  • 21 février 2018 abonné·es
Sonia Krimi, députée LREM : « Je refuse la suspicion qui pèse sur les étrangers »
© photo : PHILIPPE HUGUEN / AFP

Le 19 décembre dans l’hémicycle, Sonia Krimi, députée LREM, interpelle le Premier ministre : « Tous les étrangers de France ne sont pas des terroristes, tous les étrangers de France ne sont pas “d’indélicats” fraudeurs aux aides sociales. Dire le contraire, c’est jouer avec les peurs… » Applaudie par la gauche, elle devient le symbole de la première fracturation du parti du Président, et ce sur les questions d’asile et de migrations. Le 15 février, elle fustige à l’Assemblée le contenu d’une loi sur le placement en rétention des « dublinés ». Au moment du vote, elle s’abstient. Son courage lui vaut d’être appelée « frondeuse ».

Vos prises de parole sur l’asile et la rétention vous démarquent de LREM…

Sonia Krimi : Je ne suis pas certaine que mes prises de position sur la prochaine loi sur l’asile me marginalisent : nous n’avons pas encore eu de réelles discussions sur ce texte, et je ne suis pas seule sur cette ligne. Je voudrais que la prochaine loi sur le sujet soit à la hauteur des ambitions que nous avions précisées pendant la campagne. J’espère qu’un texte équilibré verra le jour : un délai plus court pour l’examen des demandes d’asile, oui, mais sans toucher aux droits de la défense. Le 15 février, je me suis abstenue parce que je trouve que l’automatisation du placement en rétention des « dublinés » ajoute de la violence à la violence. Qu’est-ce que l’asile ? C’est offrir un moment de paix. On me répète qu’il est dévoyé en France. Mais tant que nous porterons sur les étrangers un regard policier en les considérant comme des menteurs, des fraudeurs, des criminels, nous n’avancerons pas sur le droit d’asile et l’immigration. Diminuer les délais de recours en cas de refus d’une demande, c’est ignorer les parcours de vie. Je ne veux pas que le débat soit enfermé entre un optimisme béat et un pessimisme morose. Je refuse la suspicion qui pèse sur les étrangers : l’intégration devrait dépendre des Affaires étrangères, de la Justice et du Travail. Pas de l’Intérieur.

À lire aussi >> Droit d’asile : La faute morale de Macron

En quoi le projet de loi sur l’asile vous paraît-il contrevenir aux principes de LREM ?

J’ai fait partie des 30 000 personnes qui ont écrit le programme d’En marche. Nous nous sommes engagés pour que l’on puisse répondre à un demandeur d’asile au bout de six mois et lui éviter cette errance qui le marginalise. Emmanuel Macron a parlé de « fermeté » et d’« humanisme ». Soit. Mais il a dit aussi qu’Angela Merkel avait sauvé l’honneur de l’Europe en ouvrant les portes de l’Allemagne aux réfugiés syriens. On ne peut pas envoyer un signal politique en divisant par deux les droits de la défense et en multipliant par deux les délais de rétention.

Qu’attendre des prochaines discussions ?

Je souhaite qu’on harmonise les procédures en droit des étrangers : recours, obligation de quitter le territoire français… préfectures et magistrats s’enlisent dans ce qu’ils appellent du « droit de papier ». Que fait-on des gens pendant les mois d’examen de leur demande ? Entre leur arrivée et leur départ ou l’obtention d’un titre de séjour ? Ils ont une vie, travaillent, se marient. L’intégration commence le premier jour, voire en amont. Je voudrais que, pendant la période d’examen de leurs dossiers, les droits les plus basiques leur soient garantis : se loger et travailler. Il faut permettre aux arrivants d’être utiles dans cette société, qu’ils puissent se mélanger… Le règlement de Dublin est inhumain et ne fonctionne pas. Enfin, je veux faire introduire un amendement garantissant « zéro mineur en centre de rétention ». On n’enferme pas un enfant. Pas une heure. Le texte de loi n’aborde pas la question des mineurs non accompagnés. C’est très regrettable.

Validez-vous la distinction de Gérard Collomb entre réfugiés et migrants économiques ?

Je comprends l’agacement d’une partie de la population et des préfectures parce que le droit d’asile a été dévoyé, mais j’estime qu’il ne faut pas trier les pauvres. Derrière chaque étranger, il y a une vie. Certes, il y a des délinquants parmi les étrangers, comme parmi les Français, mais 90 % des étrangers qui viennent sur notre sol cherchent une vie meilleure. Je suis pour un traitement équivalent pour tous.

Jusqu’où êtes-vous prête à aller ?

J’ai appris que la politique était affaire de compromis. Cela ne m’empêchera pas de me battre. On me signale qu’il faut privilégier l’éthique de responsabilité à l’éthique de conviction. Mais c’est le courage qui doit déterminer notre action. On doit écrire une loi audacieuse qui prenne en compte les nouvelles problématiques liées aux migrations. On ne doit pas se laisser guider par la peur de la radicalisation et de l’islam. Actuellement, on me renvoie que mes positions découlent de mes origines franco-tunisiennes. Je trouve cela raciste. Je suis française et je ne veux pas que mes enfants vivent avec le poids de la suspicion.

Sonia Krimi Députée La République en marche (LREM) de la Manche

Société
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