La France insoumise veut relancer le débat sur la fin du nucléaire

La France insoumise organise une votation citoyenne sur la sortie de l’atome, avec pour objectif de mettre ce sujet au cœur du débat public. Une manière aussi d’animer les rangs des militants.

Vanina Delmas  • 7 mars 2018 abonné·es
La France insoumise veut relancer le débat sur la fin du nucléaire
© photo : PATRICK HERTZOG/AFP

Après les cogitations, l’action. La France insoumise lance sa première votation citoyenne sur un sujet réputé clivant : le nucléaire. Lors de sa convention nationale à Clermont-Ferrand, en novembre dernier, les Insoumis se sont prononcés sur les trois thèmes retenus pour les campagnes qui rythmeront les prochains mois. Au total, 69 007 votes exprimés ont placé la lutte contre la pauvreté en pôle position (30 %), puis la sortie du nucléaire et la promotion des énergies écologiques alternatives (26 %), et enfin le combat contre la fraude fiscale (25 %).

Si la votation pour la sortie du nucléaire éclôt en premier, ce n’est qu’une question d’agenda : elle débute le 11 mars, jour de la commémoration de la catastrophe de Fukushima. Hasards du calendrier, l’actualité est particulièrement radioactive ces dernières semaines : expulsion inattendue des opposants au projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure, procès contre des militants de Greenpeace, nouvelles allégations concernant la fermeture de la centrale de Fessenheim…

Les votants ont jusqu’au 18 mars pour répondre à la question : « Êtes-vous favorable à la sortie du nucléaire ? » Une question moins consensuelle que les deux prochaines campagnes, mais volontairement (très) ouverte pour ne pas tomber dans les atermoiements habituels sur l’échéancier. « Nous réclamons une décision politique immédiate à propos de la sortie du nucléaire, et pas une bataille sur une date. Nous savons que cela prendra du temps, mais nous voulons que la sortie du nucléaire soit planifiée et anticipée, parce que le nucléaire freine le développement des énergies renouvelables », justifie Mathilde Panot, députée France insoumise (FI) en charge de cette campagne. Un argument renforcé par le dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (Cese), publié le 28 février, qui pointe effectivement un retard résultant notamment « de la priorité trop exclusive accordée dans le passé à l’industrie nucléaire en termes de politiques publiques ».

Dans son argumentaire, la FI ne s’est pas enlisée dans les pièges crispant souvent les minces tentatives de débat en refusant de dissocier nucléaire civil et militaire, et en intégrant la dimension sociale, à savoir le nombre d’emplois et la sécurité des travailleurs. Mais les plus fervents défenseurs d’un passage à un « nouveau modèle énergétique à inventer », comme l’association NégaWatt, regrettent que cette initiative n’aborde le sujet que de manière superficielle. « Nous n’avons pas besoin d’un débat “oui-non” mais d’un débat de fond sur le sujet. Cette votation ne va pas dénouer le blocage, relève Yves Marignac, porte-parole de NégaWatt. Cette initiative a néanmoins le mérite d’exister et d’inscrire le nucléaire comme sujet politique. Elle illustre aussi le fait que cette volonté de débat ne peut toujours pas s’exprimer à travers des moyens démocratiques plus traditionnels. »

Toutes les planètes semblent alignées pour enfin lancer un débat public sur la question du nucléaire, dégainer la carte de l’éducation populaire et relancer les mobilisations héritées des mouvements antinucléaires des années 1970. « Les Français n’ont jamais été consultés sur ce sujet mais se posent des questions sur les délais raisonnables pour se défaire du nucléaire, les façons d’en sortir, les alternatives… Or, les discours du lobby nucléaire sont omniprésents et largement relayés », souligne pour sa part Martial Château, membre de Sortir du nucléaire, qui a participé à une réunion publique.

Malgré ses bonnes intentions, la FI a toujours du mal à mobiliser des partenaires. « Nous avons contacté les différentes organisations contre le nucléaire ou œuvrant pour les énergies renouvelables, que ce soient des organisations politiques (EELV, le NPA, Génération.s) mais aussi des syndicats comme SUD-Énergie ou la CGT et des associations (Sortir du nucléaire, NégaWatt, Enercoop…). L’idée était de leur proposer de coorganiser la votation, assure la députée Mathilde Panot. Nous n’avons pas reçu de réponse d’organisations en tant que telles, mais plusieurs personnes se sont engagées dans le comité de pilotage. »

Une conception de la coorganisation plus ou moins aboutie selon les interlocuteurs. « Mélenchon a fait du Mélenchon. Les Insoumis nous ont effectivement proposé de participer à cette campagne, mais tout était déjà calé », indique Julien Bayou, porte-parole d’EELV. Même son de cloche du côté de Génération.s. « Nous n’avions qu’à signer, sans avoir notre mot à dire sur la campagne. Nous le regrettons, car un véritable appel collectif aurait permis de mobiliser les différents réseaux », complète Yves Contassot, membre d’EELV. Les alliés cités en exemple d’ouverture politique – Noël Mamère, Jacques Boutault, Barbara Romagnan… – se sont engagés à titre individuel, mais ils renforcent l’impression d’un front commun antinucléaire. Ou plutôt une illusion de collectif, qui rappelle l’organisation de la manifestation du 23 septembre 2017 contre le « coup d’État social », en forme de pied de nez médiatique aux syndicats.

Pour Michèle Rivasi, qui a accepté de faire partie des orateurs nationaux, les risques liés au nucléaire obligent à aller « au-delà des clivages politiques ». « J’aurais préféré que les Verts soient à l’origine d’une telle campagne, mais le plus important est de faire un focus sur le nucléaire, car nous avons l’impression qu’on parle de tout sauf de ça, s’indigne l’eurodéputée écologiste. Nous ne sommes à l’abri ni d’un accident ni du terrorisme nucléaire. »

Une politique d’intérêt général qui recèle également des enjeux internes. En assumant politiquement une sortie du nucléaire, la FI, donc Jean-Luc Mélenchon, se place comme leader à gauche sur les questions d’écologie. « Dans ce contexte d’atonie des Verts, personne ne peut reprocher à la France insoumise d’avoir une position offensive sur ces questions », glisse Sergio Coronado, animateur de la campagne. L’ancien député EELV a largement plaidé pour que le nucléaire soit l’un des piliers de son action.

À plus long terme, cette votation citoyenne pourrait servir de tremplin aux députés de la FI pour porter une proposition de loi sur les bancs de l’Assemblée nationale. Mais ces derniers « ont tellement tendu les rapports avec tout le monde, même ceux qui pouvaient se dire de gauche chez les macronistes, qu’ils ne peuvent plus avoir un rôle de charnière à l’Assemblée, comme ce pouvait être le cas d’EELV en son temps », relativise Sandra Regol, porte-parole d’EELV. Mais qui d’autre pourrait s’emparer à bon escient des problématiques écologistes au Palais Bourbon ?

La FI peaufine son rôle d’opposition à l’échelle nationale, mais n’oublie pas d’animer sa base, laquelle pourrait trouver le temps long dans ce creux électoral. Ces trois rendez-vous citoyens, concrétisés sur le terrain par le dévouement des militants, permettent de fédérer en interne. Et sans doute de compter les troupes, voire de les étoffer. Tout est prévu afin d’armer au mieux les militants pour cette « campagne de convictions » qui se déploie depuis plusieurs jours sur les places publiques et les marchés, devant les écoles et les mairies. Outre un kit militant composé d’affiches, de tracts et d’autocollants, le plus précieux, sans doute, est le kit argumentaire, coordonné par le physicien et directeur de recherche au CNRS Jean-Marie Brom – qui a également participé au livret thématique « 100 % énergies renouvelables » du programme L’Avenir en commun. Grâce à un bref historique de la lutte antinucléaire et 24 points détaillés, le militant doit pouvoir faire face aux indécis, aux ignorants et surtout aux pronucléaires. Précision : aucun logo n’apparaît sur le matériel destiné à cette votation.

Ces intentions stratégiques et ces mésententes lancinantes ne risquent-elles pas d’avoir un effet néfaste sur la participation ? Les Insoumis visent « au moins 150 000 votants » pour avoir de l’impact. En 2009, une votation sur la privatisation de La Poste avait agité le pays. À l’époque, syndicats, associations et partis politiques avaient fait front commun au sein d’un Comité national contre la privatisation de La Poste, pour un débat public et un référendum. Deux millions de personnes avaient voté.

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