« Madame Hyde », de Serge Bozon : Le feu de la connaissance

Avec Madame Hyde, Serge Bozon signe un film dont la dimension fantastique porte une réflexion sur la transmission.

Christophe Kantcheff  • 28 mars 2018 abonné·es
« Madame Hyde », de Serge Bozon : Le feu de la connaissance
Isabelle Huppert excelle en « Mme Géquil » et son double.
© Les Films Pelleas

Après Tip Top (2013), Serge Bozon retrouve Isabelle Huppert – on se demande dans quel film, aujourd’hui, la comédienne ne tourne pas, sans se plaindre outre mesure tant, souvent, elle excelle ; c’est le cas ici… Dans Madame Hyde, Isabelle Huppert interprète une professeure de physique dans un lycée de banlieue. Elle est continuellement chahutée dans sa classe par manque d’autorité et pour l’aridité de ses cours théoriques, sans travaux pratiques parce qu’elle estime les élèves trop inexpérimentés pour toucher au matériel. Son mari (José Garcia), homme au foyer, suggère lui-même qu’elle ne maîtrise pas encore, après de nombreuses années d’activité, toutes les subtilités de son métier…

Son nom : Mme Géquil. Ce n’est donc pas dévoiler un secret que de dire qu’il va lui arriver quelque chose la transformant, la nuit venue, en Mme Hyde : dans son laboratoire, elle est traversée par la foudre.

Madame Hyde est une œuvre beaucoup plus inquiétante que ne l’était Tip Top, résolument burlesque, même si les deux films ont une dimension de critique sociale. Le comique y est encore présent, notamment à travers le personnage du chef d’établissement (Romain Duris), fat et narcissique. Mme Géquil elle-même, par son incompétence professionnelle, peut prêter à sourire. Mais son inadaptation sociale la rend également seule et fragile. Elle endure moult saillies et provocations parfois cruelles de la part de ses élèves, aux origines diversifiées, mais que Serge Bozon – préférant au réalisme une stylisation concentrée – ne caricature pas en « jeunes de banlieue ». La professeure passe elle aussi complètement à côté d’eux. Au mieux éprouve-t-elle une forme de compassion envers Malik (Adda Senani), un élève handicapé qui est également d’une grande insolence. « Il me fait venir les larmes aux yeux », dit-elle.

Comme il se doit, Mme Hyde est sa stricte opposée : celle-ci est aussi pédagogue et dangereuse que Mme Géquil est inutile et anodine. La nuit, l’enseignante sort de chez elle telle une somnambule. Elle devient alors un brasier ambulant, que son esprit ne contrôle plus : son corps entre en fusion, brûlant tout ce qu’il touche : par exemple, un banc en bois. Mais cela peut être aussi des humains…

Cette incursion dans le genre fantastique permet à Serge Bozon d’introduire une complexité diabolique dans son film. Parce que les effets de Mme Hyde sur Mme Géquil sont spectaculaires : celle-ci se mue en excellente professeure. Mieux encore, elle prend sous son aile Malik, auquel elle donne des cours particuliers. Le garçon progresse et prend goût à ce qu’il fait.

On assiste ainsi à un renversement total de situation – les deux êtres qui s’opposaient le plus, et qui, en outre, étaient méprisés, s’allient et grandissent l’un et l’autre, mais à quel prix ? Comme si Madame Hyde suggérait que tout apprentissage de l’inconnu – le savoir – était risqué et que la transmission était un acte exigeant beaucoup de soi. Mister Bozon signe là un film d’une portée existentielle a priori insoupçonnée.

Madame Hyde, Serge Bozon, 1 h 35.

Cinéma
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