Le gouvernement fait sauter le verrou syndical

L’État reprend la main sur l’assurance chômage et pourrait enterrer le paritarisme hérité de la Résistance.

Erwan Manac'h  • 25 avril 2018 abonné·es
Le gouvernement fait sauter le verrou syndical
© photo : Au siège du Medef, lors des négociations de février 2016.crédit : DOMINIQUE FAGET/AFP

C’est un sujet qui ne fera pas la une du « 20 heures ». La remise en cause du paritarisme, ce principe hérité de la Libération selon lequel les salariés et les employeurs gèrent conjointement l’assurance chômage, la formation et la Sécurité sociale, est pourtant une révolution dans le paysage social.

La majorité ne cache pas ses intentions de porter le coup de grâce à cette « espèce de paritarisme qui ne représente plus grand-chose », selon Aurélien Taché, rapporteur de la loi sur le chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage (1). Et c’est désormais officiel, l’État reprend la main. Les règles de gouvernance de l’Unédic, association loi 1901 qui gère l’assurance chômage, ne changent pas. Il ne s’agit donc pas d’une « nationalisation » comme cela a été un temps évoqué. Mais le gouvernement fixera désormais un cadre strict aux négociations entre les partenaires qui copilotent l’Unédic, via un « document de cadrage ». Il pourra définir le niveau d’indemnisation des demandeurs d’emploi, pour « faciliter l’adaptation » de l’assurance chômage à la conjoncture et garantir la « trajectoire financière » de l’Unédic. Une emprise justifiée par le fait que celle-ci, depuis cette année, est financée par l’État, par l’intermédiaire de la CSG, et non plus par les cotisations salariales. Cette tuyauterie fiscale induit un changement profond de philosophie et confère aux députés le rôle de fixer, chaque année lors du débat sur la loi de finances, le montant de l’enveloppe destinée à Pôle emploi et in fine les niveaux d’indemnisation.

« Le paritarisme, s’il n’est pas déjà mort, est à l’agonie », affirme avec satisfaction Geoffroy Roux de Brézieux, vice-président délégué du Medef. Car le gouvernement attaque la chose par tous les bouts. Il s’est assis sur l’accord paritaire sur la formation professionnelle et devrait prendre une place de choix dans le pilotage de la future agence « France compétence », qui pilotera la formation professionnelle, responsabilité revenant jusqu’alors aux syndicats.

La méthode Macron consiste en réalité à mettre les partenaires sociaux sous la menace d’une réforme unilatérale, pour les forcer à trouver un compromis allant dans le sens attendu. Épée de Damoclès qui a permis, estime-t-on du côté de l’exécutif, la conclusion d’un miraculeux accord sur l’assurance chômage, en mars 2017, qui prévoit un retour à l’équilibre en 2019. Accord pas si miraculeux, pour la CGT, qui dénonçait alors une baisse des allocations pour les précaires et les seniors, et balayait « le chantage du Medef, soutenu par certains candidats à la présidentielle », dont le désormais Président.

Deux sujets doivent passer à la moulinette de ce paritarisme de façade d’ici à la fin de l’année. La mise en place d’un système de « bonus-malus » incitant les employeurs à embaucher en CDI devra être négociée dans chaque branche professionnelle, faute de quoi le gouvernement tranchera. Un répit obtenu par le patronat qui combat fermement toute surtaxation des contrats courts.

Second sujet, sorti du chapeau à la surprise générale : le gouvernement donne jusqu’à la fin de l’année aux partenaires sociaux pour proposer une réforme de la « permittence », ce régime de cumul entre un petit boulot et une (faible) allocation-chômage. La réforme sera ensuite, théoriquement, retranscrite par décret, mais le gouvernement n’a pas dévoilé ses intentions et les syndicats de salariés craignent que cela ne cache une volonté d’économiser sur le dos des 800 000 « permittents ». « Vouloir diminuer les droits des demandeurs d’emploi en tapant sur les plus précaires est inacceptable », tonne Valérie Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, sur le site du syndicat.

Les intentions du gouvernement restent globalement floues, car il se donne, dans sa loi, la liberté de prendre les décisions par décret. Officiellement, il n’est pas question d’imposer une baisse des allocations. Mais les syndicats n’ont plus confiance dans sa propension à les écouter. Au point que la défiance des « réformistes », ceux qui croient encore le plus au paritarisme, est en train de s’ajouter à l’opposition de la rue. Même le second syndicat patronal, la CPME, menace de quitter les négociations si elles confinent trop à un jeu de dupes.

Et certains sujets explosifs n’ont pas encore été mis sur la table. À commencer par la dette de 33 milliards d’euros accumulée par l’assurance chômage, qui pourrait tôt ou tard servir de détonateur aux partisans de son dynamitage. L’équilibre entre les recettes (35 milliards) et les allocations versées (34 milliards) est aujourd’hui garanti, selon les chiffres de 2016. Ce sont en réalité les politiques de l’emploi (3,3 milliards), financées par l’Unédic, qui plombent ses comptes et l’amortissement des effets de la crise de 2008, que le patronat a refusé de compenser par une hausse des cotisations.

La gestion de cette dette apparaît particulièrement problématique, d’après les conclusions du Groupe d’audit citoyen de l’assurance chômage (2). Il révèle les montages financiers par lesquels l’Unédic emprunte en Bourse et l’évasion fiscale de la cinquantaine de détenteurs de cette dette. Un « système-dette » et une « aliénation intolérable de l’organisme aux marchés financiers », dénonce le collectif.

Qui donc payera la dette de l’Unédic ? Comment épongera-t-on une hausse incontrôlée du chômage en cas de crise financière, par exemple ? Qui, encore, amortira l’ouverture du chômage aux indépendants et démissionnaires, même si elle reste très circonscrite (3) ?

Des questions qui cachent un débat sur le fondement de notre système social. Car la logique « assurantielle » est frontalement remise en cause. Avec la suppression des cotisations salariales, ce n’est plus le salarié qui cotise pour s’assurer un « salaire différé », mais l’État qui finance un revenu de substitution. Ce glissement pourrait aller jusqu’à diminuer les allocations à un niveau « de survie », laissant chaque profession, voire chaque individu, se doter d’un régime complémentaire sur mesure. Loin du principe de solidarité qui a fondé le système.

L’association Agir contre le chômage (AC !) redoute aussi que les revenus de la famille du demandeur d’emploi et son épargne soient à l’avenir pris en compte pour le calcul de l’allocation, afin de faire peser sur les chômeurs une « politique d’austérité drastique ». Les associations de chômeurs martèlent aussi que l’assurance chômage est de moins en moins protectrice. Les demandeurs d’emploi touchent en moyenne 72 % du salaire perdu. Et ils ne sont que 44 % à toucher une allocation.

(1) Mediapart, 30 mars.

(2) Gacdac, avril 2018.

(3) 30 000 indépendants et 20 000 à 30 000 démissionnaires devraient être concernés par cette assurance chômage « universelle ».

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Publié dans le dossier
Chômeurs : Le tri par le vide
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