« La parole doit sortir du cœur et non de la bouche »

Une compilation et une anthologie remettent en lumière l’œuvre unique de Colette Magny, dont la voix et les textes résonnent jusqu’à aujourd’hui.

Jacques Vincent  • 23 mai 2018 abonné·es
« La parole doit sortir du cœur et non de la bouche »
© photo : Jean-Pierre Roche

Il fallait cet anniversaire de Mai 68 pour reparler de Colette Magny, figure de la chanson française dans sa version la plus engagée, contestataire et radicale, disparue en 1997, dont l’intégrale de l’œuvre est aujourd’hui rééditée dans un coffret. Et pour ceux qui voudraient découvrir cette personnalité singulière, une compilation de 43 morceaux (en deux CD) constitue une excellente entrée en matière, dont on regrettera seulement la médiocrité de la pochette.

Par respect pour le refus des étiquettes manifesté par la chanteuse, on évitera la valse des qualificatifs. Après tout, les chansons parlent d’elles-mêmes et en disent assez sur la colère et l’indignation qui les ont enfantées, et sur la forte personnalité de celle qui les chante.

Colette Magny avouait elle-même attacher plus d’importance aux textes qu’à la musique, comme si cette dernière risquait de constituer un artifice, une forme de séduction inutile face à l’urgence de l’émotion et du message à faire passer. Peut-être aussi pour préserver cette conviction figurant dans l’un de ses chansons : « La parole doit sortir du cœur/Et non de la bouche. »

Souvent accompagnées d’une simple guitare acoustique, les compositions peuvent paraître assez âpres et brutes, chantées d’une voix taillée dans la masse, s’affranchissant parfois des mélodies et pouvant aller jusqu’au cri. Mais Colette Magny a su aussi s’entourer de musiciens, notamment de free-jazz, avec lesquels elle disait s’entendre particulièrement bien. C’est ainsi que l’on peut entendre le pianiste François Tusques ou les bassistes Beb Guérin et Barre Phillips, sur l’album Répression en 1970. Dans un entretien avec Jacques Vassal paru dans le numéro de Rock & Folk d’avril 1973, elle précisait : « J’ai de l’estime pour eux, et eux seuls, les autres sont des fonctionnaires. » Ce qui en dit long sur son caractère et sa propension à se faire des amis dans la profession.

Ce qui caractérise également la chanteuse, c’est une exigence de tous les instants qui n’était pas de nature à faciliter ses rapports avec la radio et la télévision, lesquelles l’ont tenue soigneusement à l’écart, en dehors de la diffusion du fameux « Melocoton » (1963), son seul réel succès, qui lui a collé à la peau jusqu’à finir par devenir embarrassant alors que, plus le temps passait, moins il était représentatif de son répertoire.

On en était effectivement loin avec une chanson comme « Mal de vivre » (« Les chiens mordent toujours en Alabama/Et tout cela n’empêche personne de dormir ») ou les presque six minutes de « Répression » et ses coups de griffe à la fameuse majorité silencieuse (« Pas d’opinion/Pas de délit d’opinion »), qui ne pouvaient guère être admises sur les ondes de l’époque.

Mises bout à bout, ces chansons peuvent s’entendre comme une longue chronique des années 1960 et 1970. Elles évoquent au fil des disques la révolution cubaine, les Black Panthers, la marée noire due à l’accident du Torrey Canyon en parallèle de la grande grève des chantiers navals de Saint-Nazaire en 1967 (« À Saint-Nazaire »), le travail qui laisse abruti (« Le Boa ») ou qui tue dans « Chronique du Nord », narration du quotidien d’une famille de mineurs dans le Nord de la France.

Si certaines chansons peuvent paraître datées, beaucoup trouvent un écho dans la réalité d’aujourd’hui, et la voix de Colette Magny peut résonner encore. Comme cette phrase qui traverse le magnifique « Les Militants », chanson hommage aux prêtres soutenant la lutte du peuple basque contre un épiscopat compromis avec l’Espagne fasciste. Si le sujet n’est plus d’actualité, cette affirmation qui revient en boucle, « Non, je ne veux pas d’une civilisation comme celle-là », constitue le slogan idéal pour la convergence des luttes d’aujourd’hui.

À cœur et à cris, Colette Magny, 2 CD, Anthologie 1958-1997, coffret 10 CD, Sony Music.

Musique
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