Ventes d’armes : Les députés français mis hors jeu

À la différence de la France, d’autres pays d’Europe associent le Parlement au contrôle des exportations d’armes.

Lena Bjurström  • 30 mai 2018 abonné·es
Ventes d’armes : Les députés français mis hors jeu
© photo : La ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, et son homologue française, Florence Parly, le 26 avril 2018 à Berlin.crédit : RALF HIRSCHBERGER/DPA/AFP

Q u’il n’y ait pas, à ce jour, de contrôle parlementaire sur un sujet aussi politique et sensible que les exportations d’armes n’est pas normal, affirme le député Sébastien Nadot (LREM). Quand on est parlementaire, on est censé contrôler l’action du gouvernement. C’est l’essence même de notre position. Or, pour l’heure, la seule chose dont on dispose, c’est un rapport annuel du ministère de la Défense, qui n’est pas suffisant. » Pour l’élu La République en marche, auteur d’une proposition d’enquête sur les exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et ses alliés, cette situation est d’autant plus aberrante que d’autres pays européens ont depuis longtemps instauré un contrôle de ce type.

« Tous les pays ont un système de contrôle des exportations d’armes, mais celui-ci implique le Parlement à des niveaux différents », souligne Christophe Stiernon, chercheur au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (Grip). La Chambre des communes britannique dispose ainsi d’une commission parlementaire spécifique, composée de membres des commissions de la Défense, des Affaires étrangères, du Commerce international et du Développement international.

Ce Committee on Arms Exports Control examine le rapport annuel du gouvernement sur les exportations d’armes et rédige un contre-rapport comprenant des questions et des recommandations auxquelles le gouvernement doit répondre dans les deux mois. Si la commission parlementaire n’a qu’un rôle consultatif, de contrôle a posteriori, son existence même entraîne une plus grande transparence. « Le comité a obtenu un accès à des informations que le gouvernement ne souhaitait pas originellement divulguer, des réponses plus précises et livrées plus rapidement, et une extension du champ des données fournies », écrit la chercheuse Lucie Béraud-Sudreau (1).

Le Bundestag allemand reçoit quant à lui un rapport deux fois par an. Mais le gouvernement doit également l’informer des autorisations d’exportation accordées dans les deux semaines suivant la décision. Et en cas de question des députés, il est tenu de répondre si oui ou non une autorisation a bien été délivrée.

La Suède est allée encore plus loin. Le Conseil de contrôle des exportations, composé de douze membres du Parlement, est consulté avant même la prise de décision si celle-ci concerne des transferts vers un nouveau pays ou des produits qui n’y ont pas encore été exportés. « Jamais [l’agence administrative chargée de délivrer les autorisations] n’est allée à l’encontre des avis des parlementaires », note Lucie Béraud-Sudreau.

« Un contrôle renforcé de la part du Parlement n’est pas la garantie qu’aucune décision de transfert vers des destinations problématiques ne sera prise », nuance Christophe Stiernon. L’activisme de la Chambre des communes n’a pas mis un terme aux exportations britanniques vers le régime dictatorial du Turkménistan, la République démocratique du Congo ou l’Arabie saoudite. « Mais, dans les pays qui ont mis en place un plus fort contrôle parlementaire, on constate que le débat autour des exportations d’armes est généralement plus avancé, plus pointu », poursuit le chercheur. Qui dit contrôle dit information. L’implication des parlementaires serait ainsi le gage d’une plus grande transparence : « Pour qu’une commission puisse véritablement analyser et contrôler une politique, il faut lui fournir la matière nécessaire. Sans cela, il n’y a pas de réelle volonté de fournir des informations complètes », note-t-il.

La transparence et l’importance du débat public, au Parlement comme dans la société civile, favoriseraient un meilleur engagement des décideurs politiques. Après la Suède, en 2015, l’Allemagne a annoncé en janvier dernier la fin de ses exportations d’armes vers l’Arabie saoudite et les autres pays impliqués dans le conflit yéménite. Une proposition de loi du groupe social-démocrate vise aujourd’hui à consolider cette décision et à l’élargir à tout autre régime soupçonné d’utiliser ces équipements pour violer les droits humains. « C’est un cas classique de contrôle démocratique, affirme Christophe Stiernon. Plus le politicien est redevable de ses décisions, plus il va prendre une position tranchée. » Car le débat public le met face à ses responsabilités.

(1) « Réguler le commerce des armes par le Parlement et l’opinion publique. Comparaison du contrôle des exportations d’armement en Allemagne, France, Royaume-Uni et Suède », Lucie Béraud-Sudreau et al., Politique européenne n° 48, 2015.

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