SNCF : Des concessions, vraiment ?

La reprise de la dette de la SNCF par l’État, l’incessibilité théorique des actifs de ses filiales et la transférabilité du statut des salariés en place sont de nature à attiser la colère des cheminots et des usagers.

Liêm Hoang-Ngoc  • 20 juin 2018 abonné·es
SNCF : Des concessions, vraiment ?
© photo : Estelle Ruiz / CrowdSpark / AFP

La commission mixte paritaire du Parlement a mis la touche finale au nouveau pacte ferroviaire. La reprise de la dette de la SNCF par l’État, l’incessibilité théorique des actifs de ses filiales et la transférabilité du statut des salariés en place en cas de recours aux opérateurs privés sont présentées comme des concessions faites aux syndicats, susceptibles de les conduire à arrêter la grève. Ces annonces sont pourtant de nature à attiser la colère des cheminots et des usagers.

Premièrement, la dette de 47 milliards est due, d’une part, à l’insuffisance des subventions de l’État à SNCF Réseau, condamnée à s’endetter pour entretenir un réseau aux coûts fixes importants. Elle résulte, d’autre part, de projets pharaoniques tels que les LGV et leurs gares fantômes. La reprise de la dette, en contrepartie du changement de statut de la SNCF, était précisément l’épicentre du séisme voulu par le rapport Spinetta : la transformation de l’établissement public industriel et commercial (bénéficiant d’une garantie d’État) en société anonyme à capitaux publics (sans garantie de l’État) alourdira les intérêts à payer et réduira l’incitation de la société à s’endetter. Cela conduira SNCF Réseau à réduire ses coûts fixes et donc à fermer les 9 000 kilomètres de lignes du quotidien identifiées dans le rapport. Le Premier ministre jure qu’il n’en sera rien. Malheureusement, comme l’État réduit à la fois ses subventions à SNCF Réseau et ses dotations aux collectivités territoriales, il sera impossible à la SNCF et aux régions de cofinancer l’entretien du réseau sans fermer des lignes et des guichets, supprimer des trains ou relever les péages et les tarifs.

Deuxièmement, l’incessibilité de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités n’est pas irréversible. Quand bien même elle le serait, l’État ou les régions pourront concéder à des opérateurs privés des segments de lignes sur lesquels ces derniers finiront par jouir d’un pouvoir de monopole naturel. Cela revient à privatiser de fait les profits, à l’instar des lignes internationales sur lesquelles des opérateurs privés comme Eurostar ou Thalys usent de leur situation de monopole, en dépit de la concurrence censée s’y exercer.

Dans la plupart des pays où la concurrence a été introduite, contrairement à ce qu’affirme la propagande officielle, les tarifs ont bondi et/ou la qualité du service s’est dégradée. Pour assurer un maillage étendu du territoire, au moindre tarif pour l’usager, le modèle d’une SNCF intégrée dans le cadre d’un monopole public est le plus approprié. Le pacte ferroviaire en prononce l’oraison funèbre, en application des directives européennes.

Enfin, le statut des cheminots est bel et bien condamné pour les générations futures. Le « sac à dos » que pourront conserver les cheminots en place en cas de réembauche par des opérateurs privés est non seulement allégé, mais il sera surtout facultatif pour ces opérateurs, libres de recruter des salariés assujettis à la convention collective à venir. Après le code du travail des salariés du privé, le gouvernement aura eu raison de celui des cheminots. Il pourra alors s’attaquer au statut de la fonction publique, c’est-à-dire au code du travail des serviteurs de l’État…

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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