Le capitalisme s’habille en Prada

Dans une enquête ethnographique, Giulia Mensitieri analyse les formes variées d’exploitation de l’industrie de la mode.

Olivier Doubre  • 18 juillet 2018 abonné·es
Le capitalisme s’habille en Prada
© photo : Peter Sabok/NurPhoto/AFP

Voici un livre qui devrait être donné à lire à toutes celles et à tous ceux qui rêvent de l’univers clinquant de la mode, entre strass et paillettes, voire de devenir mannequin, styliste, créateur indépendant, photographe, coiffeur, maquilleur, retoucheur ou agent commercial de la haute couture… La chercheuse en anthropologie sociale et en ethnologie Giulia Mensitieri emmène le lecteur « dans les coulisses », l’embarquant dans un voyage exploratoire de ce qui est essentiellement une industrie. L’une des plus puissantes de la planète, à la croissance constante, représentant quelque 6 % de la consommation mondiale et 1 400 milliards d’euros, avec des multinationales parmi les plus connues au monde, « engendrant des excès consuméristes, des profits exorbitants et des formes variées d’exploitation ». L’enquête dévoile en effet combien cette industrie, comme les autres, est « une réalité faite de travail, de travailleurs, d’usines, d’ateliers, de corps, de matières, d’espaces, d’objets »

Alors que la mode est d’abord productrice d’un imaginaire de luxe, de prestige, de pouvoir et de beauté, intimement lié aux médias qui lui consacrent une place centrale et produisent ainsi « l’image étincelante du capitalisme actuel », elle joue surtout le « rôle d’un leurre qui, grâce à son apparence onirique, permet de normaliser des exceptions ». Derrière la façade glamour de la mode, cet essai met en lumière les dynamiques d’exploitation mais, surtout, « d’autoexploitation » dues au « prestige social lié au fait de travailler dans un milieu social désirable ». Ses travailleurs sont prêts à tout accepter pour participer à des événements censés être exceptionnels, avec l’espoir de « percer » un jour. Une perspective qui, évidemment, ne se réalisera que pour une poignée d’entre eux…

En marge des podiums, des VIP et des défilés exhibant des tenues au prix exorbitant, Giulia Mensitieri a interrogé des dizaines de « travailleurs créatifs » de cette industrie. Nombre d’entre eux turbinent souvent gratuitement ou pour quelques centaines d’euros, mais dans d’immenses hôtels de luxe ou aux côtés de célébrités de la mode, rares élus grassement payés. Au cœur du capitalisme mondialisé, la mode, « c’est un mannequin qui défile pour Chanel et qui est payé en bâtons de rouge à lèvres. […] Ce sont des vêtements vendus 30 000 euros, réalisés par des stylistes et des brodeuses rétribués au Smic, exploités par des maisons qui font une marge de profit énorme sur leur travail. Ce sont des sacs qui coûtent 10 000 euros parce qu’ils portent une étiquette “made in Italy” alors qu’ils sont fabriqués en Chine. La mode, c’est tout cela, et bien plus encore. » Avec ce livre, Giulia Mensitieri fait finalement œuvre d’éducation sociale en permettant de « déglamouriser » cette industrie du leurre permanent.

« Le plus beau métier du monde ». Dans les coulisses de l’industrie de la mode, Giulia Mensitieri, La Découverte, 276 pages, 22 euros.

Idées
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