Mélenchon retrouve l’usage du mot gauche

Après une année à s’installer en leader de l’opposition, La France insoumise délaisse le populisme et savoure les « vents favorables ».

Agathe Mercante  • 29 août 2018 abonné·es
Mélenchon retrouve l’usage du mot gauche
© photo : Theo Giacometti/AFP

Autres temps, autre humeur. Alors qu’ils avaient clôturé la session parlementaire la rage au ventre et la mine sévère, votant coup sur coup deux motions de censure contre le gouvernement, les députés de La France insoumise (LFI) ont affiché un visage souriant à l’occasion de l’université d’été du mouvement. Pour la deuxième édition de ces rencontres, La France insoumise avait à nouveau investi, du 23 au 26 août, le parc des expositions Marseille-Chanot, sur les terres électorales de Jean-Luc Mélenchon. Et si les 3 200 participants, le soleil et les températures clémentes avaient de quoi renforcer cette décontraction, la raison de la bonne humeur des cadres de LFI est avant tout politique. Enfin ! Au terme d’un an de combats acharnés à l’Assemblée nationale ou sur la place publique, le mouvement a gagné ses galons et est parvenu à exaucer le souhait de son fondateur : passer pour la première force d’opposition à la politique d’Emmanuel Macron. En témoignent les 130 ateliers de réflexion proposés aux militants et sympathisants du mouvement. Parmi eux, « des élus et représentants de nombreuses forces politiques », indique La France insoumise. Si la présence de Stéphane Peu, député communiste LFI-compatible de Seine-Saint-Denis, n’a rien de surprenant, celle du porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud, ou, à l’autre bout de l’échiquier, de deux élus Les Républicains – Marianne Dubois et Olivier Marleix – l’est un peu plus. « Que des gens qui ne sont pas d’accord se mettent à discuter passe pour un événement hors du commun », s’est faussement étonné Jean-Luc Mélenchon.

Longtemps critiquée pour sa trop grande radicalité, ses ambitions hégémoniques sur le monde politique français et la personnalité même de son leader, La France insoumise était, à Marseille, la coqueluche aux côtés de laquelle chacun voulait s’afficher. « La perception du mouvement par les autres forces politiques a beaucoup changé : nous ne sommes plus vus comme des farfelus », constate le député de Gironde Loïc Prud’homme. La France insoumise n’a pas ménagé ses efforts pour acquérir sa récente fréquentabilité. Pertinence du programme, régularité dans les propos, travail parlementaire acharné… et surtout beaucoup de chance. À la faveur de l’affaire Macron-Benalla, le groupe parlementaire a pris part à une alliance des gauches parlementaires permettant le dépôt d’une motion de censure commune, le 27 juillet. Cette affaire, inespérée pour l’opposition, a mis en pleine lumière le mouvement, et ses élus s’en étonnent encore. « Nous ne l’envisagions pas si tôt », confirme Adrien Quatennens, député du Nord et figure de proue des insoumis. « En 2017, les Français avaient encore une posture attentiste, le président de la République est arrivé en leur disant qu’il allait tout changer, certains lui ont laissé sa chance », analyse-t-il. Une réforme du code du travail, une baisse des impôts pour les plus fortunés, une loi asile et immigration si nauséabonde qu’elle a (presque) satisfait les élus lepénistes, une privatisation du rail et une affaire de violences commises par un sbire du cabinet élyséen plus tard, l’opinion publique s’est retournée contre le président de la République. Du pain bénit pour ceux qui, durant la campagne présidentielle, les législatives et l’année parlementaire qui vient de s’écouler, ont martelé leur opposition à la politique menée par Emmanuel Macron.

« Le fond de l’air est bon pour nous », affirme l’un ; « les vents nous sont favorables », confirme un autre ; « le climat est bon », renchérit un troisième. Dans les allées du parc Chanot, la victoire ne s’affiche pas qu’avec modestie. Fière de la place centrale qu’elle parvient à occuper, La France insoumise s’essaie à l’ouverture et tente de gommer les désaccords et autres brouilles qui ont émaillé l’année. La « Marée populaire » du 26 mai en est, selon ses cadres, l’exemple : il est possible de dialoguer avec les autres partis politiques de gauche. Une volonté d’ouverture telle que La France insoumise a adjoint à sa stratégie de fédération du peuple un volet « rassemblement de la gauche ». « C’est une nouvelle étape, oui. On ne peut pas se comporter de la même manière quand on est dans cette situation que quand on est un petit groupe qui essaie de gagner son droit à la survie », a assumé Jean-Luc Mélenchon à Marseille. Et le leader de La France insoumise, naguère absent des rassemblements des autres partis, de se faire moins rare. En témoignent sa présence au pot de fin de session parlementaire des députés du groupe Nouvelle Gauche, sa venue à l’université de rentrée de « Nos causes communes », le mouvement du socialiste Emmanuel Maurel, le 7 septembre, et peut-être même un passage à la Fête de l’Humanité mi-septembre, à l’invitation du secrétaire national du PCF, Pierre Laurent. Autant de déplacements qui renforcent le rôle central du mouvement, mais donnent corps aussi à certaines critiques internes. « La ligne stratégique dite “populiste” a été rangée au placard pour laisser place au “leadership à gauche” », constatait avec amertume l’un de ses orateurs nationaux, François Cocq, dans un post de blog publié au lendemain du congrès du Parti de gauche. Comparaison n’est certes pas raison, mais il est difficile de ne pas voir l’ombre de François Mitterrand planer au dessus de cette « adaptation » tactique, selon le mot de Manuel Bompard, directeur de campagne de LFI et candidat aux européennes de 2019. L’ancien président de la République – pour qui Jean-Luc Mélenchon n’a jamais caché son admiration – n’était-il pas, dans les années 1970, l’architecte d’une alliance entre PS et le PCF autour d’un programme commun ?

La stratégie des alliances n’a pourtant pas bougé d’un iota. « Le paradigme qui veut qu’en additionnant les étiquettes on remporte une élection est faux », affirme Éric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis. Le message reste le même : à ceux qui veulent rejoindre LFI, la porte est ouverte, mais si, et seulement si, ils en partagent les idées. Derrière les sourires affichés, tous ont en tête la séquence politique à venir, qui s’annonce mouvementée. Réforme des retraites, Loi de finances, assurance-chômage, plan pauvreté – pour le travail parlementaire ; élections européennes du 26 mai 2019 – pour le reste. Si Jean-Luc Mélenchon souhaite en faire un « référendum anti-Macron », ces élections seront aussi une épreuve du feu pour La France Insoumise. Elles constituent en effet le premier scrutin national depuis la période électorale de 2017. Une occasion pour les deux jeunes formations d’entériner la nouvelle polarisation de l’espace politique français. Une dualité LFI-LREM, en lieu et place de l’éculé PS-LR. Pour les insoumis, la bataille s’annonce rude. Car l’électorat d’une présidentielle n’est pas celui des européennes, qui mobilisent mieux les plus diplômés, et moins les classes populaires. Selon une étude Ipsos sur le scrutin européen de 2014, « plus de 60 % des individus à faible niveau de diplôme ne se sont pas rendus aux urnes, pour 48 % de ceux à haut niveau d’études ». Si une partie de l’électorat diplômé est acquis à la cause de La France insoumise, il l’est davantage à celle du parti macroniste. Pour ceux-là, le programme insoumis « plan A-plan B » sur la question des traités européens fait figure d’épouvantail. Sous couvert d’en expliciter à nouveau la logique, Jean-Luc Mélenchon a, de fait, infléchi ce point essentiel de son programme. « Le plan A : on change les règles. » Et si les autres pays membres de l’Union européenne ne suivent pas ? « On le fait quand même. » La rentrée politique s’ouvre donc sur de multiples défis : agrégation des forces de gauche, maintien d’une position politique centrale, aménagement de la stratégie « populiste », élargissement à l’électorat européen… Vaste programme !