Élu de la caste

L’élection d’Emmanuel Macron parachève la prise de pouvoir d’une haute fonction publique qui a fait sécession de la République, soutient le journaliste Laurent Mauduit.

Michel Soudais  • 12 septembre 2018 abonné·es
Élu de la caste
© photo : Loïc Venance/AFP

Comment comprendre l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence de la République et en mesurer la portée historique ? À s’en tenir aux explications couramment avancées, cette victoire par « effraction », comme l’a qualifiée un jour le chef de l’État, serait le résultat d’une aventure individuelle chanceuse en même temps que celui de l’effondrement historique des deux partis dominants. Cela manque l’essentiel, explique Laurent Mauduit dans un essai vivifiant. Pour notre confrère, cofondateur de Mediapart, cette victoire marque l’aboutissement d’une mutation, ancienne et profonde, de la haute fonction publique, au sein de laquelle, « grâce aux pantouflages et aux rétropantouflages, les logiques du privé, ignorant les besoins de l’intérêt général et le long terme, ont partiellement sinon totalement corrompu l’esprit public ».

À travers moult exemples de cette porosité entre le secteur public et le secteur privé, il montre comment, à la faveur des privatisations lancées en 1986 par Jacques Chirac et poursuivies par les socialistes, une « cohorte de hauts fonctionnaires issus pour l’essentiel de Bercy […] a pactisé avec le monde de la finance et de la banque françaises », et dicté avec arrogance et obstination les canons du néolibéralisme aux politiques de tous bords : moins d’impôts, d’État, de déficit, de protections sociales, plus de privatisations… Jusqu’à porter l’un des siens au sommet de l’État, ultime étape d’une « privatisation de l’État de l’intérieur ».

L’auteur n’a pas la naïveté de croire que ce phénomène est nouveau. En remontant le temps jusqu’au Second Empire, il rappelle que les pantouflages sont aussi anciens que l’Inspection générale des finances, qui, « loin d’être le corps d’élite de la République pour les questions économiques et financières, est en fait l’un des rouages majeurs du capitalisme de connivence à la française, une succursale des banques au cœur de l’État ». Que la haute fonction publique, qui règne sur Bercy et truste les grandes sociétés du CAC 40, a toujours plus ou moins perçu le libéralisme politique et la démocratie comme des obstacles à la décision des compétents. Dotée d’« un pouvoir tout à fait singulier », elle ne constitue pas à ses yeux une caste mais « la caste », à laquelle « se sont aussi agrégés des intellectuels, une poignée d’économistes ainsi qu’une ribambelle de conseillers d’État ».

« On aurait tort de ne pas employer ce mot », note l’auteur en se défendant à raison de tout « populisme ». Cette prévention fera sûrement sourire Jean-Luc Mélenchon, à qui l’usage de ce mot pour désigner notre capitalisme oligarchique a été rudement reproché, y compris sur Mediapart. En suggérant qu’une refondation de la haute fonction publique, passant notamment par la suppression de l’ENA, est indissociable de toute « refondation ouvrant la voie à une VIe République », Laurent Mauduit va toutefois plus loin que le programme de la France insoumise.

La Caste. Enquête sur cette haute fonction publique qui a pris le pouvoir Laurent Mauduit, La Découverte, 204 p., 19 euros.

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