L’agriculture marche de Travert

Sur trois axes majeurs de la transition écologique, les intérêts privés dominent la prise de décision du pouvoir macroniste. Agriculture.

Patrick Piro  et  Erwan Manac'h  • 5 septembre 2018 abonné·es
L’agriculture marche de Travert
© photo : Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, une perméabilité décomplexée aux intérêts de la FNSEA.Richard BOUHET/AFP

téphane Travert n’est pas gangrené par les lobbys, il est le lobby ! » lançait fin août Yannick Jadot (1). C’était une semaine avant la démission de Nicolas Hulot, et l’eurodéputé EELV listait les dossiers environnementaux sabotés par le ministre, « représentant de la pire agriculture au sein du gouvernement » : recul sur l’obligation d’installer un contrôle vidéo dans les abattoirs, sur l’étiquette indiquant la qualité nutritionnelle des aliments, sur l’interdiction de l’herbicide glyphosate, etc.

« Nous n’avons jamais vécu un tel mépris avec les précédents gouvernements. Nous avons envoyé trois courriers à Édouard Philippe à propos des pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles (2), aucune réponse. On s’est contenté de nous orienter vers Hulot, considéré comme le représentant des associations, qu’il n’apparaît pas utile au Premier ministre de rencontrer directement », se plaint Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement. L’association, spécialisée dans l’interpellation des décideurs, est parvenue une fois jusqu’au cabinet de ­Stéphane Travert, « mais ce fut d’une violence inouïe ! rapporte-t-il. La conseillère Claire Le Bigot nous a pris de haut, prétendant ne jamais rencontrer la FNSEA, le syndicat majoritaire, alors qu’on sait très bien que le ministre rencontre régulièrement les agriculteurs, c’est sur son agenda ! »

La politique agricole, terreau du lobby agro-industriel, « ça dure depuis des décennies, et ça n’a pas changé », constate Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne. « La grande différence avec les précédents gouvernements, c’est que celui-ci assume totalement, voire anticipe les positions de la FNSEA », résume Yannick Jadot. États généraux de l’alimentation ? L’ambition d’établir des prix assurant un revenu digne aux agriculteurs a été vidée de son contenu car de gros agro-industriels ont refusé de jouer le jeu. La majorité de la population rejette le glyphosate ? « Le lobby de l’agrochimie parvient à freiner son interdiction, etc. », se désole Laurent Pinatel. La semaine dernière, le ministre se déplace en Creuse : vingt places d’accompagnateurs pour la FNSEA, deux seulement pour la Confédération paysanne, « et encore, après nous être battus… » Lors des États généraux de l’alimentation, le pôle associatif comptait pour 10 % environ des délégués, contre 20 % lors du Grenelle de l’environnement sous Sarkozy en 2007, relève François Veillerette, porte-parole de Générations futures, association qui lutte contre les pesticides.

Cette perméabilité décomplexée de Stéphane Travert aux intérêts des acteurs dominants de l’agriculture est sous-tendue par « un manque total de consistance et de vision, déplore Laurent Pinatel. Un jour, il défend une revalorisation des aides à l’hectare pour les petites exploitations, le lendemain il dit le contraire ! Qui a-t-il rencontré entre les deux moments ? »

Ancien député PS, Travert n’est pas un poids lourd de la politique, renchérit François Veillerette. « Sur les pesticides par exemple, il a très rapidement cédé aux arguments de l’agrochimie. » Il se dit « très choqué » par la manœuvre du ministre, qui a retiré fin mai son propre amendement, donnant aux préfets la possibilité d’interdire les pulvérisations de pesticides aux abords des bâtiments, « alors qu’il disposait d’une majorité pour le faire voter ». Est-ce « un incroyable amateurisme politique » (de nombreux députés LREM étaient absents) « ou, pire, l’opportunité de céder à la FNSEA, vent debout contre cet amendement ? » De même le syndicat agricole, opposé depuis toujours à la reconnaissance de pathologies découlant de l’usage des pesticides, a-t-il obtenu l’oreille d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, en dépit d’un rapport favorable adopté en 2012 par le Sénat. Qui représente pourtant « l’ancien monde », dirait-on en Macronie.

(1) RTL, 21 août.

(2) Finalement interdits la semaine dernière mais avec des dérogations importantes.

Politique
Temps de lecture : 3 minutes

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