« Libre », de Michel Toesca : Au-delà de la Roya

Libre est un documentaire aux allures de western, filmé par un cinéaste qui a fait de sa caméra un objet de l’action.

Ingrid Merckx  • 26 septembre 2018 abonné·es
« Libre », de Michel Toesca : Au-delà de la Roya
© photo : L’accueil sous les oliviers de l’agriculteur Cédric Herrou.crédit : LAURENT CARRE/Jour 2 Fete

La caméra remonte en plan large de la surface de la grande bleue jusqu’aux cimes alpines. Il y a de l’espace, de l’air, de la grandeur… et des chemins qu’empruntent des migrants fuyant des désastres en direction de Paris jusqu’à se perdre dans la vallée de la Roya. Enclave montagnarde entre la France et l’Italie, zone frontière.

C’est là, depuis 2015, que se joue un affrontement entre les forces de l’ordre, qui ont pour mission de repousser les migrants en Italie, et des habitants qui ont accueilli, hébergé, nourri, transporté en voiture et accompagné à pied des migrants de passage. Une sorte de western ultra-contemporain opposant des lois sécuritaires et des dispositifs défaillants à la loi de justes, qui refusent simplement de ne pas porter secours à qui frappe à leur porte.

Parmi eux, Cédric Herrou, devenu une figure de la solidarité avec les migrants et l’homme à surveiller. Pas un héros, mais un agriculteur qui vit modestement et seul entre ses oliviers et ses poules, et se retrouve avec des enfants dans les bras au milieu de familles démunies arrivant du Darfour, d’Érythrée ou du Tchad, des habitants de la vallée, des représentants d’associations, des soignants, à incarner le combat qu’ils estiment légitime.

Dans le carré de rondins devant chez lui, au squat des Lucioles, dans le noir ou en pleine lumière, devant le tribunal, dans les montagnes survolées par des hélicoptères, il crève l’écran, Cédric Herrou, avec ses lunettes rondes, sa voix posée, son humanité et son humour. Sa capacité à assumer prend la valeur d’une arme d’autant plus puissante qu’elle est partagée par d’autres autour de lui.

C’est une force pacifique que Michel Toesca filme de l’intérieur. Acteur et témoin, le cinéaste enregistre des récits et des gestes de migrants et d’accueillants. Il montre des images de ces actions extraordinaires menées dans un ordinaire perturbé. Elles s’inscrivent dans l’histoire et font date, changeant la vie de ceux qui y participent et, espère-t-il, de ceux qui les découvrent. Parce qu’elle continue, cette histoire, au-delà du film et de la Roya, partout.

Libre, Michel Toesca, 1 h 40.

Société
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