« Un peuple et son roi », de Pierre Schœller : L’émancipation en tête

Un peuple et son roi, de Pierre Schœller, montre le Paris révolutionnaire de 1789 à l’exécution de Louis XVI. Passionnant… et discutable.

Christophe Kantcheff  • 25 septembre 2018 abonné·es
« Un peuple et son roi », de Pierre Schœller : L’émancipation en tête
© photo : Jérôme Prévois

C’était à se demander si, pour le cinéma, la Révolution française s’était faite sans le peuple. Danton, de Wajda ? Les Adieux à la reine, de Jacquot ? Ou même l’excellent La Nuit de Varennes, d’Ettore Scola ? À peine aperçoit-on, dans la plupart des films se déroulant à cette période, quelques ombres dans un coin de l’écran, hirsutes, frustes ou carrément barbares. Seul Renoir, dans sa Marseillaise, a montré un petit peuple d’insurgés, mais il reflète davantage les préoccupations des années 1930 que celles des sans-culottes.

Avec Un peuple et son roi, la Révolution descend enfin dans la rue. On est dans l’atelier d’un souffleur de verre, l’Oncle (­Olivier Gourmet), où vit sa famille élargie. L’atelier donne dans une rue étroite, à la vue bouchée par la ­Bastille, qui vient d’être prise. On la détruit, alors les habitants sortent pour goûter la lumière qui, pour la première fois, perce derrière les premières pierres fracassées…

Ces gens – l’Oncle, sa femme (Noémie Lvovsky), Françoise (Adèle Haenel) et celui qui deviendra son amoureux, Basile (Gaspard Ulliel), mais aussi Margot (Izïa Higelin) et Tonin (Johan Libéreau) – ont soif de liberté, d’égalité et de fraternité. Ils aspirent à des droits nouveaux et, à l’Assemblée nationale, où ils se rendent afin de suivre les débats, ils donnent de la voix pour soutenir ceux qui les défendent : Robespierre (Louis Garrel) en tête… C’est la grande réussite de ce film, non corseté par l’amplitude des moyens qu’il a requis : cette plongée parmi les acteurs anonymes de la Révolution, notamment les femmes, dont l’implication fut considérable, même si elles étaient exclues y compris du suffrage universel.

Outre que Pierre Schœller montre ces gens dans les joies et les peines (un enfant mort-né) de leur vie quotidienne, il fait bien sentir ce mélange complexe d’espoir et d’anxiété, d’optimisme et de crainte qu’ils éprouvent à propos du devenir de la Révolution, leur combat. Pour eux, le mot d’ordre « la liberté ou la mort » n’est pas une posture. Pour preuve : la violence de la répression exercée sur le Champ-de-Mars en juillet 1791 et le 10 août 1792, que la famille de l’Oncle subit cruellement dans sa chair. Cela non plus, ce courage porté par une volonté d’émancipation, le cinéma ne l’avait pas représenté, et Pierre Schœller le fait ici sans mythifier le peuple.

On reprochera peut-être au film de filer à toute allure. Il retrace en effet trois ans et demi, de juillet 1789 jusqu’à l’exécution du roi, le 21 janvier 1793, en deux heures. Forme d’exploit qui passe par certains points didactiques plus utiles que pesants, d’autant que, tout en simplifiant beaucoup, le scénario fait globalement les bons choix.

En revanche, il semble que le cinéaste, auteur du très pénétrant Exercice de l’État (2011) sur la dépolitisation de la politique, ait eu des difficultés à se départir de son regard d’homme du XXIe siècle à propos de la mort du roi. Il donne beaucoup de place aux débats qui ont agité la Convention entre les girondins et les montagnards. Retentissent les mots authentiques de Vergniaud et de Barnave d’un côté, ceux de Robespierre, de Danton et de Marat (Denis Lavant) de l’autre. Mais on sent dans la mise en scène, y compris celle de la séquence de l’exécution, qui accentue la solitude de Louis XVI (Laurent Lafitte), tragiquement démuni face à l’échafaud et à son « bon peuple », une sorte de conscience de notre temps réprouvant la peine de mort. Ce n’est pas un hasard si le dernier à se prononcer à la Convention est Condorcet (ce ne fut pas ainsi dans la réalité), qui affirme son opposition de principe à la peine de mort.

Un film se fait toujours au présent, même quand il est en costumes. Pierre Schœller aurait pu raconter les incessantes manœuvres antirévolutionnaires de Louis XVI, et surtout rendre davantage sensible l’extraordinaire et retentissant symbole de la chute de la monarchie, en place depuis des millénaires, qu’a représenté le vote de sa mort, bien au-delà de l’individu.

Malgré cette réserve, Un peuple et son roi, qui appelle un second volet racontant la Terreur, reste un film passionnant.

Un peuple et son roi, Pierre Schœller, 2 h 01.

Cinéma
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