« Quand l’État n’agit pas », les villes passent à l’action

Tour de France des collectivités qui s’engagent pour l’accueil des migrants.

Vanina Delmas  • 10 octobre 2018 abonné·es
« Quand l’État n’agit pas », les villes passent à l’action
© photo : Steven Wassenaar / Hans Lucas / AFP

Strasbourg

Maîtresse en son domaine

« Nous sommes une ville-frontière », rappelle Marie-Dominique Dreyssé, adjointe Europe Écologie-Les Verts à la mairie de Strasbourg, en charge de l’action sociale territoriale. Chaque année, la ville accueille plus de 3 500 demandeurs d’asile. « De par sa situation géographique, démographique et sociale, Strasbourg voit arriver beaucoup de personnes », constate l’élue alsacienne.

Si on est loin du mythe du « tsunami migratoire », Marie-Dominique Dreyssé note une augmentation importante des arrivées ces dernières années, « environ 20 % ». Une situation à laquelle la ville s’adapte. « Personne n’a vocation à vivre de manière pérenne dans l’espace public », martèle-t-elle. Alors, autant que possible, la municipalité s’engage : mise à disposition de logements, création de centres d’accueil… Cette politique volontariste, Strasbourg est l’une des seules villes de France à pouvoir la mener. Héritage des années d’annexion allemande, elle a gardé certaines de ses prérogatives, ailleurs dévolues aux départements français.

« Nous déterminons les politiques sociales, maternelles et infantiles », assure l’élue. Et quand il s’agit de discuter avec les représentants de l’État, Marie-Dominique Dreyssé assure ne rencontrer aucun problème. « Ces compétences nous donnent une force pour discuter avec l’État en vue de reloger et d’orienter les demandeurs d’asile. » Cette politique, voulue par le maire socialiste Roland Ries, reçoit l’appui des citoyens. « En 2015, quand les tensions en Syrie se sont brutalement amplifiées, le maire a lancé un appel à la population pour accueillir des réfugiés. Cet appel a massivement été repris », se félicite l’adjointe.

Nantes

Fédérer les communes

Fin juin, une centaine de migrants originaires principalement du Soudan et d’Érythrée se sont installés dans le square Daviais, dans le centre-ville de Nantes. Le campement a grossi au fil des semaines, jusqu’à réunir près de 700 personnes. « Nous avons régulièrement des bâtiments squattés à Nantes : nous pensons que cela représente environ 1 000 personnes, même s’il est difficile d’avoir un chiffre exact. Mais la préfecture ordonne régulièrement l’expulsion de ces lieux, explique Catherine Bassani-Pillot, conseillère municipale EELV. À force d’être trimbalés partout, ces naufragés se sont retrouvés au cœur de Nantes. Les riverains avaient honte de voir des gens abandonnés dans une ville aussi riche, alors ils se sont mobilisés. »

Les associations, collectifs et habitants ont aidé les migrants autant que possible, mais les conditions sanitaires se sont dégradées. Le 20 septembre, Johanna Rolland, maire PS de Nantes, déclenche alors le plan communal de sauvegarde, une première pour cette cause. Cinq gymnases municipaux sont réquisitionnés pour mettre à l’abri des centaines de personnes. Mais cela reste, une fois de plus, une solution provisoire.

Depuis le début de l’année, Nantes a accueilli 600 migrants, que ce soit au centre nantais d’hébergement des réfugiés (CNHR), au centre d’accueil et d’hébergement d’urgence ou en accueil temporaire, sous forme de baux précaires. Un regroupement de maires et d’élus ruraux, Territoires 44, a lancé un appel à l’ensemble des maires de Loire-Atlantique afin qu’ils mettent à disposition leurs logements vacants pour accueillir les exilés. Saint-Brevin-les-Pins, sur la côte, ou encore Rezé et Saint-Herblain, deux communes de l’agglomération nantaise, ont déjà répondu favorablement. « Quand l’État n’agit pas, cela retombe sur les collectivités. Nous sommes prêts à faire notre part, mais nous voulons aussi peser sur l’État autant, martèle Catherine Bassani-Pillot. Nous ne sommes pas sur de l’assistanat pur précise-t-elle_. Nous voulons amener les migrants et les réfugiés vers l’auto-organisation et l’autonomie. »_

Montreuil

Pédagogie et réquisition

« Montreuil est une terre d’accueil depuis toujours : nous sommes l’une des villes qui comptent le plus de travailleurs étrangers. Et il n’y a pas de rejet massif des migrants de la part de la population montreuilloise », décrit Halima Menhoudj, adjointe au maire en charge de la coopération, de la solidarité internationale, de l’Europe et des populations migrantes. C’est d’ailleurs à Montreuil que s’est tenue la première session des États généraux des migrations en mai dernier. Il y a quelques mois, la ville a distribué aux collégiens et aux lycéens un livret réalisé par Solidarité laïque, afin de détricoter tous les préjugés envers les migrants.

Au-delà de la pédagogie, le maire s’est récemment illustré sur le terrain. Le 26 septembre, Patrice Bessac (PCF) a publié un arrêté pour réquisitionner l’immeuble, inoccupé depuis des années, de l’Asssociation pour la formation professionnelle des adultes – propriété de l’État – et ainsi héberger les travailleurs immigrés du foyer Bara, en attendant mieux. Il sollicitait l’État depuis deux ans pour améliorer les conditions de vie des résidents du foyer. L’édile avait passé la nuit aux côtés des travailleurs et constaté l’extrême précarité de leurs conditions de vie : rats, fuites au plafond, sanitaires insalubres… « Je demande à l’État, qui se rend ici complice d’une situation digne des pires marchands de sommeil, de prendre ses responsabilités, de respecter ses engagements et de mettre à l’abri les résidents du foyer », a-t-il déclaré dans son communiqué de presse. Cet acte politique redonne de l’espoir aux soutiens des familles roms, régulièrement à la rue.

Briançon

En première ligne

Depuis 2017, près de 3 000 personnes ont été accueillies au Refuge solidaire de Briançon (Hautes-Alpes), ville de 12 000 habitants devenue un lieu emblématique de la solidarité envers les migrants ayant franchi la frontière italienne. Et le maire, Gérard Fromm (divers gauche), apporte un soutien sans faille à ces gestes quotidiens d’humanité. Dernièrement, le conseil municipal s’est engagé en acceptant de mettre à disposition l’ancienne conciergerie du cimetière, transformée en appartements. Mais, en avril dernier, les élus de la communauté de communes du Briançonnais ont lancé un appel à l’aide à la préfète des Hautes-Alpes, soulignant le manque de moyens et l’épuisement des associations, ainsi que la défaillance de l’État : « Nous vous demandons de trouver des solutions pour ouvrir des structures d’accueil d’urgence, en privilégiant le choix de plusieurs petites unités réparties sur notre département, afin d’éviter les concentrations de personnes pouvant susciter des difficultés comme à Calais », ont-ils réclamé, afin de poursuivre l’hébergement des migrants de passage à Briançon.

À signer et faire signer >> Le Manifeste pour l’accueil des migrants

Société
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