Pacte de Marrakech : beaucoup de fantasmes pour rien

Tribune. Le pacte de Marrakech, accusé par certains d’organiser l’invasion migratoire, est pourtant non contraignant et assez anodin.

Frédéric Viale  • 13 décembre 2018
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Pacte de Marrakech : beaucoup de fantasmes pour rien
© photo : MICHAEL KAPPELER / DPA / dpa Picture-Alliance

Depuis quelques semaines, internet est agité à propos d’un pacte, celui de Marrakech : à en croire certains, ce pacte organise l’invasion migratoire, confirme la perte de souveraineté des États et permettra une dilution des identités nationales dans un brassage de populations systématique et mondial. De Marine Le Pen en passant par Asselineau ou des intervenants moins connus, tous dénoncent un complot odieux. Et voici que, dans deux tweets (voir ici et ), Éric Ciotti demande solennellement au gouvernement de « renoncer au pacte de Marrakech » car il serait « un scandale démocratique ».

Puisque ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté le 10 décembre 2018 par plus de 150 pays membres de l’ONU, allons voir de plus près. Le texte, le texte, rien que le texte.

Frédéric Viale est candidat aux élections européennes sur la liste de La France insoumise.
Dès la deuxième ligne le ton est donné : il s’agit d’une « contribution importante au renforcement des coopérations relatives aux migrations internationales ». Dans le langage onusien, cela veut dire que le texte souhaite une orientation de l’action des États mais n’impose rien. D’ailleurs, l’article 15 du pacte insiste sur la souveraineté nationale des États qui, en ce domaine, n’est pas rognée.

Le préambule du texte insiste : il s’agit pour les États d’un « engagement à améliorer la coopération en matière internationale ». En droit, un « engagement à améliorer » ne porte aucune obligation de résultat mais simplement une obligation de moyen, ou pour le dire autrement, le texte est incitatif.

Par ailleurs, sont rappelés les traités internationaux dont la France est déjà signataire et dont on ne sache pas qu’ils aient diminué en rien sa capacité à décider elle-même des règles concernant les migrations sur son territoire. Pêle-mêle, la déclaration universelle des droit humains, le pacte des droits civils et politiques, le pacte des droits économiques, sociaux et culturels, quelques autres qui forment le cadre dans lequel la France s’inscrit depuis fort longtemps, elle qui se veut championne des droits humains. On aurait du mal à comprendre le problème que poserait ce rappel des engagements internationaux anciens et constants de la France.

Le texte porte des déclarations de principes que les pays signataires s’engagent à respecter. En dehors du fait qu’ils ne sont pas contraignants, on voit mal en quoi ces principes planifieraient des migrations énormes : il est question de « coopérer en vue de répondre aux besoins urgents des migrants », de « coopération internationale » en matière d’échanges de données, de réaffirmer la « primauté du droit » et des « droits humains ». Il est question de « lutter contre les problèmes structurels qui poussent les personnes à quitter leur pays d’origine » (objectif 2). Lutter contre ce qui nourrit l’immigration ne veut pas dire planifier l’immigration. Il est question de « gérer les frontières de manière intégrée, sûre et coordonnée » (objectif 11) : gérer les frontières n’est pas précisément non plus planifier les migrations, ce serait même plutôt de contraire. D’ailleurs, c’est la mission de Frontex, la police chargée de bloquer les migrants aux frontières extérieures de l’Union européenne. De même, « coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité, ainsi que leur réintégration durable » (objectif 21) veut dire « faciliter le retour et la réadmission des migrants vers leur pays d’origine », pas l’inverse. Pour un texte qui est censé organiser l’entrée des migrants, il est quand même beaucoup question de sortie des migrants ou d’éviter leur entrée.

Pourquoi tant de haine ?

Alors la question se pose : pourquoi ce texte non contraignant et finalement assez anodin excite-t-il tant de haine ?

Objectif 12. Veiller à l’invariabilité et à la prévisibilité des procédures migratoires pour assurer des contrôles, des évaluations et une orientation appropriés ; objectif 13. Ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu’en dernier ressort et chercher des solutions de rechange ; objectif 14. Renforcer la protection, l’assistance et la coopération consulaires tout au long du cycle migratoire.

Probablement parce que certaines dispositions font mal à certaines personnes d’extrême droite qui ne voient pas dans le migrant un migrant, c’est-à-dire une personne humaine qui passe des frontières, mais un monstre qui vient forcément pour prendre le travail, amener ses maladies et profiter du système social, bref au mieux des gêneurs, au pire des profiteurs, au total des nuisibles. Alors les dispositions qui découlent de la simple application du droit humanitaire auquel la France est déjà partie prenante et qui disent en gros qu’on traite les gens avec dignité et non comme des animaux voués à abattoir, ces dispositions sont présentées comme scandaleuses : le fait que il faudrait (conditionnel) « s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité liés aux migrations et les réduire » (objectif 7), ou « sauver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les migrants disparus » (objectif 8) semble insupportable, tout comme sans doute :

Mais tout cela n’est-il pas simplement l’application de ce qui est ou devrait être ? La prévisibilité des procédures est un élément essentiel de l’état de droit, le recours exceptionnel à la rétention administrative devrait être le cœur de notre état de droit, même pour les étrangers en situation irrégulière, tout comme la protection consulaire.

Objectif 15. Assurer l’accès des migrants aux services de base ; objectif 16. Donner aux migrants et aux sociétés des moyens en faveur de la pleine intégration et de la cohésion sociale ;

Ce qui semble déranger le plus les tenants d’une droite dure ce sont les dispositions « sociales » comme :

et les voilà qui entonnent « mais les bons Français de souche n’y ont pas droit » et « ça nous coûterait un pognon de dingue ».

Soyons clairs : si aujourd’hui l’ensemble des citoyens et citoyennes françaises rencontrent des difficultés sociales, cela découle directement des politiques d’austérité menées par le gouvernement sous l’égide de l’Union européenne. Des richesses nous en produisons beaucoup, seule l’inégalité fiscale et sociale ne permet pas que chacun puisse en profiter. La fraude et l’évasion fiscale, largement facilitées par une des « quatre libertés » de l’Union européenne (la liberté de mouvement des capitaux) expliquent les problèmes sociaux, pas les migrations.

L’extrême droite nous fatigue : toujours présente pour vouloir serrer la vis aux plus pauvres (elle ne veut pas d’une augmentation du Smic), votant dans toutes les assemblées où elle est élue les mesures les plus anti-sociales avec une constance de métronome, il lui faut faire diversion en hurlant contre ce qu’elle appelle « le Grand Remplacement ». Et ceux de la droite dite encore « républicaine » qui, comme Éric Ciotti, veulent constituer non un pont mais un viaduc avec l’extrême droite, ceux-là pourraient se renseigner avant de raconter n’importe quoi. Ils ne trouvent rien de mieux que de s’appuyer sur un texte non contraignant et anodin pour utiliser la peur à des fins de récupération électoraliste.

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