Bolsonaro contre les « petites mains »

En 2013, la « loi des domestiques » avait permis aux Brésiliennes concernées de travailler en étant déclarées. Avec la crise et le nouveau président d’extrême droite, leurs droits sont menacés.

Marie Naudascher  • 9 janvier 2019 abonné·es
Bolsonaro contre les « petites mains »
© photo : EVARISTO SA / AFP

I ls vont devoir apprendre à faire leur lit », lâche Áurea, ex-employée de maison qui retrace sa vie dans le documentaire Elle fait presque partie de la famille (1), réalisé en 2013, année du vote de la loi qui inclut les domestiques dans la législation du travail. « À l’époque, la situation économique permettait aux travailleurs d’exiger de meilleurs salaires et des droits jusqu’alors inexistants pour cette catégorie », explique Luciano Onça, coréalisateur de ce court-métrage qui analyse la complexité des relations patrons-employées. Champion du monde du travail domestique, avec 6 millions de personnes concernées selon l’Organisation internationale du travail (OIT), dont 96 % de femmes, le Brésil est encore profondément marqué par l’esclavage, aboli il y a 130 ans.

Pour Eliana Menezes, à la tête du Syndicat des travailleurs domestiques de São Paulo, cette loi est une « seconde abolition de l’esclavage ». En 1943, le gouvernement de Getúlio Vargas avait promulgué une législation du travail excluant les employés de maison. En 2013, la loi proposée par la présidente Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT), leur accorde la semaine de 44 heures, un treizième mois, le droit aux heures supplémentaires au-delà de 8 heures par jour, un congé maternité et une retraite. Les domestiques deviennent presque du jour au lendemain des salariées avec des droits, et non plus seulement des petites mains invisibles et corvéables à merci. Autrement dit, elles ne font plus « partie de la famille », comme le laisse entendre cette expression paternaliste souvent employée au Brésil par les classes moyennes ou supérieures. La très conservatrice revue Veja montre en couverture un mari en cravate et tablier, l’air penaud, en train de faire la vaisselle et avertit : « Vous, demain ! » Et de proposer un dossier complet pour comprendre comment déclarer son employée.

Cette nouvelle dynamique ne manque pas d’incommoder les classes les plus aisées. Elles qui n’hésitaient pas à faire travailler leurs domestiques en uniforme blanc ou à les emmener au restaurant le week-end pour s’occuper des enfants doivent maintenant se justifier. Au bout d’un an, le nombre de domestiques cotisant pour leur retraite explose, passant de 187 700 à plus d’1,3 million. En 2012, à São Paulo, 30 % d’entre elles travaillaient plus de 44 heures par semaine. Cinq ans plus tard, elles sont moins de 15 %. Un vrai ménage dans les habitudes des foyers brésiliens !

Pourtant, malgré cette loi, avec l’explosion du chômage (un taux proche de 14 % en 2017) et de la crise à partir de 2015, l’informalité est revenue au galop. En 2016, une photo fait polémique : un couple de trentenaires blancs vêtus de jaune et vert (les couleurs de la droite anti-PT) marche vers la plage de Copacabana pour manifester contre Dilma Rousseff. Ils sont suivis par leur nounou noire et les enfants dans la poussette. Les réseaux sociaux s’empressent de diffuser cette image, qui montre l’exploitation d’une jeune femme par un couple prétendant lutter contre la corruption.

Au Congrès, un certain Jair Bolsonaro (PSL, extrême droite) avait voté contre la loi de 2013. Depuis ce 1er janvier, il est président du pays et le ministère du Travail a été supprimé, un indice assez clair de ce qui attend les catégories les plus précaires en temps de crise : les femmes, les Noirs et les moins diplômés. Milene, employée de maison à Rio de Janeiro et habitante de la gigantesque favela de Rocinha, évoque souvent ce qu’elle va demander à son patron, notamment ces heures supplémentaires qu’il lui doit depuis des années, et puis elle n’ose pas. C’est ce que le sociologue Dominique Vidal (2) appelle les « reparties imaginaires » pour montrer l’écart entre le droit et la posture de soumission ancestrale et implicite de l’employée de maison.

Dans presque tous les appartements, une minuscule chambre, derrière la cuisine et sans fenêtre, est réservée à la domestique. Avec l’exode rural des années 1960, les très jeunes filles du Nordeste débarquaient dans les grandes villes sans famille ni mari et dormaient donc chez leurs patrons. Aujourd’hui, ces « quartos de empregadas » (chambres de bonne) deviennent des cagibis, des bureaux, et sont parfois présentés dans les annonces comme une chambre à part entière. Mais personne n’est dupe. Qui bercerait son enfant dans cet espace de 5 mètres carrés loin du reste de la famille ?

(1) Voirhttps://apublica.org/2013/12/minidoc-como-se-fosse-da-familia

(2) Auteur du livre Les Bonnes de Rio. Emploi domestique et société démocratique au Brésil, Presses universitaires du Septentrion, 2007.

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