Centres de rétention : grève de la faim et soif de justice

Le 3 janvier, une grève de la faim a débuté dans le centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes. Elle étonne par son ampleur d’autant que le 8 janvier, elle s’est étendue aux CRA du Mesnil-Amelot, d’Oissel et de Sète.

Hervé Bossy (collectif Focus)  • 15 janvier 2019
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Centres de rétention : grève de la faim et soif de justice
© photo : JACQUES DEMARTHON / AFP

Une grève de la faim inédite, massive, et coordonnée s’étend sur quatre centres de rétention depuis le 3 janvier. Ce mouvement inédit survient alors que la loi asile-immigration entrée en vigueur le 1er janvier est venue porter de 45 à 90 jours la durée de rétention. Ce doublement de la durée de rétention s’ajoute aux souffrances endurées par les retenus.

Violences et maltraitances quotidiennes

« Je suis fatigué des violences des gardes », confie M. Dembélé (*). Arrêté sur le chemin de son travail et retenu au CRA de Vincennes depuis une vingtaine de jours, il a entamé sa grève de la faim le 3 janvier. Les traits tirés, il détaille d’une voix affaiblie, dans le parloir du CRA, les maltraitances subies au quotidien et les conditions de rétention : _« On est traités comme des moins-que-rien. »_

« Les violences physiques et verbales de la police, la mauvaise alimentation, la saleté des locaux… Tout cela mène à un ras-le-bol général », résume Nicolas Pernet. Ce responsable régional de la Cimade, qui intervient au CRA du Mesnil-Amelot, en bordure de l’aéroport de Roissy, y voit la dernière manifestation de la politique répressive menée par le gouvernement. Auparavant mandatée dans tous les centres de rétention, l’association qui accompagne les personnes enfermées dans leurs démarches juridiques, n’intervient plus que dans huit des vingt-quatre centres de rétention français, depuis l’ouverture de l’appel d’offres sur l’aide aux étrangers en CRA en 2008.

L’allongement de la durée de rétention est la partie la plus visible de la politique mise en place par le ministère de l’Intérieur depuis 2017, mais ce n’est pas le seul dispositif utilisé. « Les placements à l’isolement, au “mitard”, sont devenues une pratique fréquente depuis deux ans, même envers les retenus qui ne sont pas violents ou agressifs. Des personnes aux situations psy délicates, qui s’automutilent par exemple, sont mises à l’isolement », dénonce Nicolas Pernet. La plupart des jeunes hommes migrants souffrent de pathologies psychiatriques, comme le souligne un rapport de Médecins du monde, notamment dues à des traumatismes subis durant leur trajet jusqu’en France. Les violences de l’administration, doublées de l’absence de dispositif psychiatrique, et des défaillances du dispositif médical en CRA, aggravent la santé de ces retenus particulièrement fragiles. Le cas récent d’Hassan, un jeune Algérien, est révélateur de ces défaillances. Alors qu’il avait attenté à sa vie, il a été plusieurs fois placé à l’isolement, menotté et casqué.

« Du Valium au petit-dej’ »

Le dispositif médical en CRA est en effet réduit à son minimum. « Peu importe le souci de santé, ici c’est Doliprane ou Valium », souffle M. Dembélé. Une situation dénoncée par Valérie Osouf, réalisatrice et militante du collectif de défense des migrants Chapelle Debout : « Certains retenus du CRA d’Oissel me rapportent qu’on leur donne du Valium au petit-dej’ ! » Un soignant d’un centre de rétention de la région qui souhaite rester anonyme confirme : « Le Valium est la prescription de base face à l’anxiété, et en CRA, tout le monde est anxieux. Les médecins n’ont pas les outils pour prodiguer de véritables soins. Ils ne sont présent que deux heures par jour. » Lors des permanences de l’infirmerie, les soignants ne disposent que de quelques minutes par personne retenue si celles-ci sont nombreuses. Un temps insuffisant pour assurer un véritable suivi médical. « C’est très dur pour les infirmiers, et bien trop souvent, donner du Valium est la solution de facilité, pour soulager un minimum », mais cela crée des problèmes de dépendance. Selon ce même soignant, le suivi et les contrôles de base, nécessaires en cas de grève de la faim, ne sont même pas assurés : « Tout est fait pour laisser les situations empirer, et quand nous avons besoin d’appeler les urgences, notre diagnostic est toujours remis en question par la police. Cela entraîne des retards de prise en charge qui peuvent être graves. »

Difficile de connaître l’ampleur exacte de cette grève de la faim. « Les seuls chiffres qui remontent au service médical sont les plateaux repas refusés par les retenus. Mais certains les prennent et ne mangent pas. D’autres les refusent mais achètent de la nourriture dans les distributeurs », souligne le soignant. « L’impossibilité d’obtenir des informations aussi basiques de la part de l’administration est intolérable », peste Odile Ghermani, membre de la Ligue des droits de l’homme et de l’Observatoire citoyen du CRA de Vincennes. Dans ce centre, ils étaient une trentaine de retenus du bâtiment 2A à suivre la grève vendredi dernier, selon M. Dembélé. L’Assfam n’a pas donné suite à nos demandes concernant ce chiffre. Au Mesnil-Amelot, ils étaient entre 70 et 80 à se priver de nourriture : « Cela représente la quasi-totalité des retenus de ce centre, relève Nicolas Pernet, femmes et malades mis à part. L’ampleur et la coordination de cette grève entre les centres sont inédites et cela n’a pas l’air de s’éteindre. » Peu de chiffres filtrent pour l’instant des CRA d’Oissel et de Sète.

Un nouveau réseau de solidarité entre les retenus

C’est la première fois qu’une telle coordination entre les centres de rétention voit le jour. Elle est orchestrée par plusieurs militants qui transmettent les numéros des retenus d’un centre à l’autre. Cela permet aussi de créer un réseau de solidarité entre les retenus. « Grâce à ces militants, un Afghan très isolé a pu discuter avec un autre retenu de son ethnie. Ils ont pu se rendre compte qu’ils allaient être expulsés ensemble et s’organiser pour refuser d’embarquer. Cela n’aurait jamais été possible sans eux », détaille Odile Ghermani. Cependant, connaissant le peu de moyens de contestation dont disposent les retenus, la propagation d’un tel mouvement de contestation interroge.

Ces grèves de la faim durent rarement longtemps dans les centres de rétention. Rien d’étonnant à ce que le mouvement soit en train de ralentir dans les CRA de Vincennes et Oissel, selon Odile Ghermani : « C’est déjà tellement épuisant d’être retenu dans ces centres, alors si vous ajoutez à cela une grève de la faim… C’est intenable et les retenus craquent. » D’autant plus que l’administration des centres voit bien entendu d’un très mauvais œil ces grèves relayées par la presse, et tente de les réprimer en transférant les meneurs vers d’autres centres, comme c’est déjà arrivé à Oissel. Une information étayée par Nicolas Pernet : « Nous ne l’avons pas encore constaté au Mesnil-Amelot dans le cadre des grèves de la faim, mais en général, toutes les personnes retenues qui posent problèmes à l’administration sont transférées dans d’autres centres, très souvent au CRA de Palaiseau. » Ce centre est réputé très « accueillant » pour les retenus récalcitrants.

(*) Le nom a été modifié.

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