Citoyens législateurs

Deux défenseurs de l’environnement ont réussi à transformer une pétition pour préserver les semences paysannes en amendement dans un projet de loi.

Vanina Delmas  • 23 janvier 2019 abonné·es
Citoyens législateurs
© photo : GUILLAUME SOUVANT/AFP

En 2015, Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso lancent la pétition #YesWeGraine, destinée à préserver les semences traditionnelles. Au fil de leurs rencontres avec des maraîchers, et lors d’un voyage au Mexique, ces deux cousins, déjà sensibilisés à la cause environnementale, prennent conscience que les graines sont précieuses. Or, en France, les agriculteurs n’ont pas le droit de cultiver des semences non inscrites dans le catalogue officiel.

L’un finit ses études en économie de l’environnement, l’autre vient de créer Comunidée, une société de production documentaire. Ils utilisent donc tous les outils numériques à leur disposition pour faire connaître leur combat. Leur pétition adressée à Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, atteint facilement les 70 000 signatures (81 000 aujourd’hui).

« Nous ne savions pas ce que deviendrait cette pétition, nous nous étions juste promis de la porter le plus loin possible, raconte Jonathan Attias. Nous avons ensuite rencontré le sénateur du Morbihan Joël Labbé, qui nous a appris qu’un projet de loi sur la biodiversité arrivait et qu’on pourrait intégrer notre revendication sous forme d’amendement. »

Un défi pour ces novices des codes politiques, des mécanismes institutionnels et de l’écriture juridique. Ils travaillent alors avec Blanche Magarinos-Rey, avocate en droit de l’environnement, pour transformer cette pétition en deux amendements : l’un permettant le libre-échange de semences entre agriculteurs, le second pour changer les critères du catalogue officiel, afin que les semences dites « stériles » soient exclues de la vente. Puis ils soumettent leurs amendements à la consultation publique via la plateforme Parlement & citoyens (1), qui permet depuis 2013 aux parlementaires et aux citoyens de rédiger des lois ensemble. Joël Labbé l’avait déjà expérimentée avec succès pour sa proposition visant à interdire l’usage non agricole des pesticides : la loi Labbé, adoptée, en 2014 a été la première coconstruite avec des citoyens.

« Pour le projet de loi “Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages”, je suis donc arrivé en séance avec la pétition physique signée par près de 70 000 personnes, ce qui a été un argument populaire pour montrer ce que nos concitoyens attendaient de nous, raconte Joël Labbé. La ministre de l’Écologie de l’époque, Ségolène Royal, a émis un avis favorable, et nous avons obtenu une majorité, même si elle était serrée ! Il est évident que l’aspect “mobilisation citoyenne” a joué son rôle. » Un soutien non négligeable pour des sujets liés à l’environnement, à la santé et à l’agriculture, fortement gangrenés par les lobbys. Hélas, la victoire sera de courte durée, car le passage en commission des lois et le débat à l’Assemblée nationale rebattent les cartes.

Après un nouvel assaut citoyen, sur les députés cette fois, l’amendement autorisant les agriculteurs à s’échanger les semences du domaine public est adopté. « J’ai trouvé très novateur le fait qu’ils mettent leur nez dans ce qui n’est pas censé les regarder, mais qui les concerne au plus haut point ! C’est mon rôle de parlementaire de leur ouvrir les portes et de jouer la carte de la transparence pour montrer comment se passent réellement les choses », analyse le sénateur du Morbihan.

Un apprentissage citoyen intensif que Jonathan et Alexandre ont poursuivi et transmis notamment grâce au film-enquête Des clics de conscience, qu’ils ont réalisé tout au long de leur expérience. Un récit initiatique des temps modernes qui a permis de sensibiliser les spectateurs, notamment grâce à des ateliers de démocratie (2) organisés après les projections. Jonathan Attias poursuit ce travail au sein de l’association Clic (Citoyennes·ens lobbyistes d’intérêts communs) et dans les cours de « démocratie contributive et de lobbying citoyen » qu’il donne depuis deux ans à l’université de Cergy-Pontoise. Pour lui, la priorité est de reprendre confiance en soi et en nos élus. « Personne ne nous a jamais dit qu’il était possible de participer à l’écriture de la loi. La seule chose qu’on nous enseigne à l’école et par la suite, c’est de voter aux élections pour être un bon citoyen. Or, aujourd’hui, il faut que les gens se réapproprient les lois et qu’il y ait un vrai lobby citoyen, car les moyens de pression auprès des élus existent », assure celui qui milite activement pour un droit d’amendement citoyen.

(1) parlement-et-citoyens.fr

(2) Méthodologie à retrouver dans le livre Faisons la loi, Jonathan Attias, www.thebookedition.com

Politique
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