Ivan Illich, penseur de l’aliénation productiviste

Une compilation bienvenue de textes du précurseur de la critique du développement industriel, présentés par Thierry Paquot.

Olivier Doubre  • 30 janvier 2019 abonné·es
Ivan Illich, penseur de l’aliénation productiviste
© photo : Ivan Illitch était un théoricien des pratiques alternatives, dont les jardins partagés (ici à Rennes). crédit : Martin Bertrand/AFP

Engagées notamment en faveur de l’écologie politique, les éditions Le Passager clandestin ont développé depuis plusieurs années une superbe collection, dirigée par Serge Latouche, dédiée aux « précurseurs de la décroissance ». L’idée est de documenter les racines et la généalogie d’une pensée décroissante née il y a plusieurs siècles et devenue de plus en plus prégnante dans le débat d’idées contemporain face aux dégâts dus à l’idéologie de la croissance et du progrès scientifique et technique. Après plusieurs volumes consacrés à Épicure, Diogène, Jacques Ellul, Simone Weil ou George Orwell, la collection se devait de se pencher sur Ivan Illich, auteur assez inclassable, rétif à toute forme d’autorité, d’aliénation et de productivisme, destructeurs des pensées « vernaculaires » et de l’environnement.

Construit comme les autres opus de la série, celui-ci est composé pour une bonne moitié de textes d’Illich, certains déjà des classiques, comme « La polarisation par l’outil », « L’énergie, un objet social » ou « Le renoncement à la santé ». Mais on lira aussi avec grand intérêt les textes de présentation du philosophe Thierry Paquot, spécialiste notamment de l’architecture et de l’urbanisme.

Celui-ci était en effet tout indiqué pour un tel exercice, ayant connu personnellement Ivan Illich durant les dernières décennies de son existence mais étant surtout l’un des meilleurs spécialistes français de son œuvre, puisqu’il a dirigé et présenté le second (et épais) volume de ses Œuvres complètes, paru en 2005 (1).

Ivan Illich (mort en 2002) fut un auteur de véritables best-sellers dans les années 1970-1980, d’abord comme pamphlétaire militant, « stimulant et anticonformiste », puis théoricien « de pratiques alternatives dans d’innombrables domaines (pédagogie, architecture, artisanat et écodesign, économie coopérative, habitat autogéré ou participatif, permaculture et agriculture biologique, écologie politique, jardins partagés, etc.) ». S’il a collé en quelque sorte aux enjeux de cette époque de contestations et d’expérimentations tous azimuts, il fut néanmoins délaissé peu à peu, avant de revenir plus récemment dans les bibliographies et, souligne Thierry Paquot, de servir aujourd’hui « de viatique à plus d’un décroissant en actes ».

Car Ivan Illich, dont la vie est narrée dans un autre texte passionnant et très complet, n’est « plus seulement le théoricien de la “convivialité” mais son inspirateur désintéressé et joyeux ». Et le promoteur d’une « ascèse choisie », qui certes « refuse le combat frontal avec le productivisme », mais s’en fait un critique impitoyable. Au nom de la vie sous toutes ses formes et de son avenir sur Terre.

(1) Éd. Fayard. Thierry Paquot a aussi publié une très bonne Introduction à Ivan Illich, La Découverte, 2012.

Ivan Illich. Pour une ascèse volontaire et conviviale présenté par Thierry Paquot, Le Passager clandestin, coll. « Les précurseurs de la décroissance », 112 pages, 8 euros.

Idées
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