Le défi du mouvement syndical

Le paradoxe du mouvement des gilets jaunes est qu’il crédite l’analyse des organisations syndicales, mais jette sur elles un discrédit qui fait resurgir leurs propres interrogations existentielles.

Erwan Manac'h  • 30 janvier 2019 abonné·es
Le défi du mouvement syndical
© photo : Lors d’une manifestation d’employés des Ehpad devant le ministère de la Santé, le 30 janvier 2018 à Paris. crédit : Edouard Richard/AFP

Il aura fallu un mouvement aux formes inédites, balayant tous les repères politiques, pour réveiller enfin les consciences sur la crise sociale que nous traversons. Ce n’est pourtant pas faute, du côté des organisations syndicales, de s’époumoner depuis de long mois pour lancer l’alerte sur une situation devenue intenable. C’est toute l’ironie du moment gilets jaunes : il crédite l’analyse alarmante des organisations syndicales, mais jette sur elles un discrédit qui fait resurgir leurs propres interrogations existentielles.

Les syndicats sont notamment victimes de leur institutionnalisation, accentuée depuis trente ans par la chute des adhésions, qui leur vaut d’être souvent suspectés de poursuivre un agenda politique secret ou d’agir pour leurs « privilèges » de militants professionnels. Cette remise en question ancienne – le syndicat Solidaires se développe pour tenter d’y répondre depuis une trentaine d’années – s’est considérablement intensifiée. Parce que le syndicalisme s’est complexifié et requiert des compétences élevées. Et qu’il fait face à une transformation profonde du travail, vers un émiettement des statuts et une individualisation toujours plus forte des salariés. Les syndicalistes subissent dans le même temps un durcissement du climat social et une perte progressive de leurs moyens d’action, au rythme des lois de dérégulation du travail.

Les syndicats ne peuvent donc faire l’impasse sur un examen de conscience exigeant, pour se reconnecter à ce monde du travail en forte mutation. Ils doivent repenser leur organigramme kafkaïen et leurs circuits officieux de décision. Chantier ô combien explosif. L’épineuse question de leur financement doit également être posée, pour trouver un système équitable et transparent, et éclaircir le fonctionnement du paritarisme (cogestion par les syndicats et le patronat des organismes comme la Sécurité sociale, ­l’assurance-chômage, etc.), dont la légitimité est sans cesse remise en question, notamment à cause de plusieurs abus.

Quant aux lendemains syndicaux à donner au mouvement des gilets jaunes, l’addition des forces devrait certes fonctionner, le 5 février, pour répondre à l’appel à la mobilisation et à la grève lancé par la CGT. Solidaires rejoindra le cortège pour en faire « un point d’appui » et tendre vers « une grève générale reconductible », aux côtés de La France insoumise, du PCF et du NPA. Mais c’est par-dessus tout au prix d’un profond renouveau que le mouvement syndical pourra se refaire une place dans le débat national.

Travail Société
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