Un journaliste français tabassé en pleine rue par les néonazis grecs

Politis soutient Thomas Iacobi, sauvagement agressé par un groupe organisé d’Aube dorée. Le récit d’Angélique Kourounis, notre correspondante en Grèce, avec qui il tourne un deuxième documentaire sur ce parti raciste et ultraviolent.

Angélique Kourounis  • 14 février 2019
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Un journaliste français tabassé en pleine rue par les néonazis grecs
© crédit photo : Aris MESSINIS / AFP

C e n’est pas toi qui a fait le documentaire sur Aube dorée ? », ont-ils demandé avant de cogner. Mais ils n’ont pas attendu la réponse, les coups sont tombés immédiatement, comme une pluie de pierres. Des coups de poing sur le visage, des coups de pied sur le corps. « Tu voulais Aube dorée, hein ? Tu voulais Aube dorée ? Tu en as ! »

Politis apporte tout son soutien à Thomas Iacobi, sauvagement agressé dans l’exercice de son métier de journaliste indépendant. En France, nous n’imaginons pas la violence, verbale comme physique, véhiculée par le parti néonazi Aube dorée, dont nombre d’élus sont actuellement jugés en Grèce pour des crimes d’une exceptionnelle gravité, dans un procès dont Angélique Kourounis a rendu compte dans Politis le 7 novembre dernier (n°1526). Cette barbarie ne rend que plus vital le travail journalistique réalisé par Angélique et Thomas, qui ne renonceront pas à en dénoncer les mécanismes par leur travail d’investigation. _Gilles Wullus
Thomas Iacobi, mon complice et coauteur de notre film, Aube dorée, une affaire personnelle, qui fait tant enrager les néonazis grecs, celui sans qui rien n’est possible, n’a pas compris sur le coup qu’il était victime d’une attaque en règle des sbires du parti grec Aube dorée.

Pourtant, dès la première du film dans le pays en 2016, nous savions tout les deux que nous étions désormais sur leur liste noire. Nous savions qu’ils enrageaient. À la sortie du film, ils m’avaient personnellement promis une balle dans la tête, mais cela restait de l’ordre de la fanfaronnade. Du moins le pensait-on, jusqu’à cette agression qui s’est produite le dimanche 20 janvier, en plein jour, à deux pas du parlement, alors que des milliers de gens étaient dans la rue. Tous des manifestants nationalistes, mais pas forcément fascistes ou nazis.

« On fait gaffe, mais on y va »

Depuis que notre documentaire a servi de pièce à conviction dans le procès en cours contre cette formation néonazie, leur haine s’est décuplée ; nous avons reçu des menaces par téléphone, nous avons commencé à faire attention à nos déplacements. Mais nous n’avons jamais renoncé à faire notre travail de journaliste. « J’avais déjà couvert il y a un an la même manifestation. Il n’y avait pas eu de problème », souligne Thomas, à qui plusieurs confrères ont demandé pourquoi « il s’était jeté dans la gueule du loup ». « De plus, ajoute-t-il, si on se terre, si on laisse la peur nous guider, ils ont gagné. Pas question ! » Nous avons eu mille fois cette discussion – « que faire devant cette menace quotidienne ? » – et à chaque fois nous sommes arrivés à cette même conclusion : « On fait gaffe, mais on y va. »

En 2018, la manifestation contre l’accord de compromis avec la Macédoine du Nord, que nous avions suivie ensemble, était plus massive, mais le climat était tout autre. Revendicatif oui, pas haineux. Nous n’avons pas été agressés. En 2019, on n’a pas eu de chance. Thomas est encore sous le choc :

Quand ils me sont tombés dessus à dix contre un, ils m’ont encerclé et cogné tous en même temps. Ils voulaient prendre mon téléphone avec lequel je les avait filmés. Je le serrai contre moi. Plus je le serrai, plus ils cognaient mais il n’était pas question que mes contacts tombent dans les mains de ces ordures. Ils ont ouvert mon sac à dos et volé tout ce qu’il y avait dedans. J’ai appelé au secours, à l’aide, plusieurs fois, mais personne n’est venu. Pourtant, tout le monde autour voyait ce qui se passait. J’ai pu me dégager et me traîner vers la rue principale, pour que la police me voie. Elle m’a sauvé. Je l’en remercie, mais elle aurait pu arriver plus tôt, c’est indéniable.

L’apathie des manifestants

Thomas n’a pas été que tabassé et volé. Il a aussi été filmé par ses agresseurs. « Pendant que les uns me frappaient et les autres me volaient, un autre, celui qui dirigeait l’attaque, m’a tiré la tête en me disant “regarde-moi maintenant, je te filme”. Pour me faire peur et qu’à l’avenir, je reste chez moi. Mais ils se trompent. Je continuerai à faire mon travail. »

Plus que les coups, sa commotion et les contusions qui le marquent, ce qui inquiète Thomas et tous les Grecs hostiles à Aube Dorée, c’est l’apathie des gens. « J’aurais mille fois préféré que ce soit des manifestants qui me sauvent plutôt que la police. Car la police n’a fait que son travail, mais si les gens étaient intervenus d’eux-mêmes, ils auraient fait preuve de résistance. »

Tout notre matériel a été saccagé ou volé, même le beau chapeau en feutre que je lui avait offert à Noël, mais Thomas n’a pas dit son dernier mot. Il a pu enregistrer toute l’agression avec son magnétophone. Ils l’ont cassé, mais la carte mémoire reste lisible. Aussi, depuis ce soir-là, la bande-son de l’agression tourne sur tous les réseaux sociaux. But de l’opération : reconnaître les voix des agresseurs et prouver que c’est bien Aube dorée qui était derrière car, outre Thomas, huit autres photographes et cameramen ont été tabassés. Kostis Dadamis a eu le crâne fracassé par un gourdin, tout son matériel photo volé. Selon des témoins, « les agresseurs opéraient en groupe, comme des sections d’assaut, et avaient des photos des journalistes et photographes à castagner. »

Quelle riposte possible ?

Des enquêtes sont ouvertes mais jamais aucune de ce genre n’aboutit en Grèce. Après avoir déposé plainte, nous avons quelques doutes sur le suivi de l’affaire. Environ 200 photos ont été présentées à Thomas pour qu’il reconnaisse ses agresseurs : 60 % étaient manifestement des migrants, et le reste des activistes d’extrême gauche et de la mouvance anti-autoritaire. Pas une seule des manifestants d’Aube dorée, dont pourtant certains sont fichés depuis d’autres affaires d’agression et surtout dans le cadre du procès en cours contre cette formation nazie.

Qu’à cela ne tienne, Thomas et moi avons commencé, seuls, depuis un an, avec le soutien de la Fondation Rosa Luxemburg et sous les auspices de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), le tournage d’un second volet de notre filme Aube dorée, une affaire personnelle. Cette fois- ci, nous nous intéressons à la résistance. Quelle riposte possible face à ce phénomène ? Nous cherchons des partenaires.

Cette menace réelle d’Aube dorée sur les médias explique peut-être pourquoi jamais la télévision nationale ERT n’a diffusé notre documentaire, que nous lui avons proposé gracieusement, et que seuls deux cinémas du pays l’ont projeté, alors que les projections en salles et privées se sont multipliées en Europe, au Canada et aux États-Unis. À noter que notre documentaire a été mis à disposition des professeurs d’histoire des lycées pour les classes de troisième, seconde, première et terminale par le festival PriMed de Marseille (1), où le film a reçu le prix Averroès Junior en 2016.

(1) PriMed : Festival international du documentaire et du reportage méditerranéen.

Un site de soutien participatif a été ouvert pour Thomas Iacobi afin qu’il puisse racheter le matériel détruit pendant l’agression.

Monde
Temps de lecture : 6 minutes
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