Néonazis grecs, le procès du siècle

Depuis quatre ans, toute la direction du parti Aube dorée est jugée pour ses crimes, tout en continuant de siéger au Parlement.

Angelique Kourounis  • 7 novembre 2018 abonné·es
Néonazis grecs, le procès du siècle
© photo : Le leader d’Aube dorée, Nikos Michaloliakos, aime se faire appeler « Führer ».crédit : Giorgos Georgiou/NurPhoto/AFP

Le 12 octobre dernier, reprenaient à Athènes les audiences d’un procès hors norme pour le pays. Soixante-neuf accusés, dont la totalité du groupe parlementaire de la troisième force politique grecque élue en 2013, 147 témoins pour l’accusation, 230 pour la défense, un dossier d’instruction contenant des pièces à conviction pesant plus de 1,5 téraoctet, plus de 100 avocats de la défense, une quinzaine pour la partie civile, et déjà 290 audiences. Les chiffres sont là : le procès contre le parti néonazi grec Aube dorée, qui entre dans sa quatrième année, est bien le plus important de l’histoire grecque de l’après-guerre. Bien plus important, même, que le procès des colonels en 1974, selon l’activiste et cofondateur du site d’informations alternatif Omnia TV, Loukas Stamellos, car « c’est la première fois que l’extrême droite est jugée en Grèce et, surtout, c’est le seul procès qui examine en profondeur les relations entre le pouvoir, les institutions et l’extrême droite ».

Pourtant, le parti extrémiste participe toujours à la vie politique et poursuit ses activités comme si de rien n’était. Au moment où le procès reprenait après la pause estivale, son fondateur, Nikos Michaloliakos, l’un des principaux accusés, qui aime se faire appeler « Führer », donnait sa conférence de presse de rentrée à la Foire de Thessalonique, comme tous les leaders politiques le font chaque année. Aube dorée poursuit ses actions d’intimidation dans les rues, multiplie les manifestations et profite de l’affaire macédonienne pour convoiter les électeurs opposés à l’accord signé (1). Son dernier fait d’armes : un raid motorisé dans les rues d’Athènes à grand renfort de drapeaux et de tracts jetés à tout-va, avant d’arriver devant le Parlement et d’invectiver bruyamment les députés : « Traîtres ! Vendus ! La Macédoine est une et elle est grecque ! »

Les sondages donnent toujours cette force politique au troisième rang, avec 6 à 8 % d’intentions de vote. Cependant, les bureaux du parti ferment les uns après les autres dans tout le pays et les cérémonies fascistes, qui, il y a deux ans encore, rassemblaient des milliers de personnes, n’en attirent désormais que quelques centaines. Le parti Aube dorée serait-il affecté par ce procès-fleuve ? Pour Dimitris Psaras, journaliste et témoin à charge capital, qui suit cette nébuleuse depuis des décennies, il n’y a aucun doute possible : « Leur ascension a été freinée d’un coup, leur influence dans les écoles a disparu et, surtout, trois députés ont quitté Aube dorée, ce qui fait que leur groupe parlementaire est passé du troisième au quatrième rang. Cela ne serait jamais arrivé, en tout cas pas aussi vite, sans ce procès. »

Le procès a mis la barre très haut. Il vise à démontrer qu’Aube dorée est un parti nazi, sans équivoque possible, mais aussi que c’est une organisation criminelle à structure pyramidale et militaire, où les ordres partent d’en haut pour être exécutés par la base. Pour ce faire, en plus de l’accusation principale d’« appartenance à une organisation criminelle », le procès s’articule autour de trois affaires : l’agression à la batte de base-ball de membres du syndicat communiste en septembre 2013 ; la tentative de meurtre en juin 2012, en pleine nuit, à leur domicile, de quatre pêcheurs égyptiens, dont l’un est resté à jamais handicapé ; et le meurtre du rappeur Pavlos Fyssas, plus connu sous le nom de Killah P et militant antifasciste, en septembre 2013.

Pour Dimitris Psaras, auteur de La Bible noire d’Aube dorée, la nature nazie du parti est prouvée par un document qu’il a lui-même exhumé : les premiers statuts du parti. « Les véritables statuts, martèle le journaliste. Ceux qui incluent la notion du Führer et que la défense a tenté par tous les moyens d’écarter. » Quant à la démonstration de la nature criminelle de l’organisation, il estime que c’est là aussi chose faite : « On a vu dans les mois précédents des vidéos et des documents qui prouvent sans aucune équivoque l’action criminelle de cette organisation et la responsabilité de sa direction dans toutes les actions entreprises. »

De son côté, la défense crie à la chasse aux sorcières et au procès politique. Son premier axe de plaidoirie est de prétendre que « c’est parce qu’il y a une violence de l’extrême gauche qu’il y a une violence de l’extrême droite ». Et son deuxième levier est la difficulté à prouver qu’Aube dorée est une organisation criminelle. Avocat du député Giannis Lagos, impliqué dans le meurtre de Pavlos Fyssas, Alexandros Alexiadis est confiant : « La convention de Palerme stipule qu’une organisation est d’essence criminelle si elle gagne de l’argent noir. Or, il n’y a pas un centime d’argent non déclaré au sein d’Aube dorée. » Pour la défense, Aube dorée est un parti comme les autres, n’a rien à voir avec le nazisme, et n’est en aucun cas responsable des actions « isolées » de ses membres. L’avocat argumente : « Si un communiste tuait une personne dans une rixe, est-ce que vous emprisonneriez toute la direction du parti ? »

Tous bénévoles, les avocats de la partie civile (2) balaient ces raisonnements. « Nous avons prouvé que ces actions criminelles ne sont pas le fait du hasard. Elles sont décidées dans le cadre d’une hiérarchie, et c’est le cœur de ce procès, souligne Elefteria Tobatzoglou, l’une des avocates de la famille Fyssas. Des vidéos datant de 2011 montrent la cérémonie d’adhésion des jeunes recrues à Aube dorée, avec le serment au drapeau du parti, la fidélité aveugle au chef et la lutte permanente contre le juif, éternel ennemi de la nation. »

« Le national-socialisme d’Aube dorée est le mobile de ses actes », insiste Thanasis Kabayiannis, autre avocat de la partie civile. Son collègue Kostas Papadakis, qui défend les pêcheurs égyptiens, approuve, mais tempère : « Le chef d’accusation ne comprend ni l’instigation morale, qui est plus facile à démontrer, ni la création d’une organisation criminelle, alors qu’elle est systématiquement appliquée à des accusés venant de la gauche. Ce procès n’est pas politique, on juge des faits et uniquement des faits. Mais sa gestion est politique. »

Pour autant, bien que la gauche présente cette bataille juridique comme le procès du siècle, le public ne se presse guère dans la salle d’audience. Les supporters d’Aube dorée sont bien plus nombreux que ceux qui dénoncent la présence de ce parti néonazi au sein du Parlement grec, même lorsque les audiences se tiennent dans la salle du tribunal d’appel, en plein centre d’Athènes (la majeure partie ayant lieu dans une salle aménagée dans la prison des femmes de Korydallos, une banlieue difficile d’accès).

Présente tous les jours au procès, la mère de Pavlos Fyssas s’en désole : « Les médias ne sont pas là. Les décideurs non plus, la société civile est absente. Il y a un problème. » C’est pourtant le meurtre de son fils qui a déclenché l’offensive judiciaire contre Aube dorée. Auparavant, c’était un parti parfaitement fréquentable pour pratiquement l’ensemble des médias et du monde politique grec, bien qu’il ait été responsable d’exactions quasi quotidiennes contre les migrants et les militants de gauche en 2012.

En outre, non seulement il est impossible de bien comprendre les échanges entre le tribunal, les avocats et les témoins, car les micros ne fonctionnent pas, mais il n’y a pas non plus de transcription des débats, « faute de moyens », à l’exception de celle réalisée par les activistes de Golden Dawn Watch et Jail Golden Dawn, mouvements créés pour suivre le procès et qui le restituent sur les réseaux sociaux.

Le procès va durer encore quelques années. Une fois les audiences terminées, il faudra attendre la sentence, qui peut prendre des semaines, voire des mois ; puis viendra très certainement l’appel des condamnés, et si nécessaire le recours au Conseil d’État. Mais ce que la partie civile attend dès la fin de la première partie, c’est la condamnation non pas seulement des exécutants des différents assassinats et pogroms, mais celle de toute la direction d’Aube dorée. Pour Dimitris Psaras, tout l’enjeu est là : « Une Aube dorée avec toute sa direction condamnée ne sera pas la même qu’une Aube dorée où seuls les exécutants et les seconds couteaux seront sous les verrous – ce qui ne fait aucun doute –, avec les chefs en liberté. »

Dès lors se pose un autre problème, et non des moindres : que va-t-il se passer entre une condamnation en première instance de la direction d’Aube dorée – que tout le monde prédit au vu du dossier d’instruction – et les appels qui vont suivre ? Autrement dit, verra-t-on des élus et des cadres politiques légiférer au Parlement, mener campagne, bref, faire de la politique, alors qu’ils sont condamnés en première instance ou même emprisonnés dans l’attente de l’appel ? « C’est du jamais vu, reconnaît Psaras. Ce sera au Conseil d’État de trancher, car c’est lui qui donne le feu vert aux partis politiques pour se présenter aux élections. »

Président de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH), Dimitris Christopoulos rejette cette éventualité : « Après l’assassinat de Pavlos Fyssas, le Parlement grec a retiré aux responsables d’Aube dorée le financement auquel ils avaient droit en tant que parti – 350 000 euros –, uniquement parce qu’ils étaient suspects d’appartenance à une organisation criminelle. Il est impensable qu’ils soient condamnés en première instance et qu’ils continuent de siéger en attendant l’appel. »

Beaucoup prédisent qu’alors les cadres d’Aube Dorée se déchireront, entre ceux qui écoperont de lourdes peines et ceux qui en auront de plus légères, entre ceux qui seront sous les verrous et ceux qui seront passés au travers des mailles du filet. « Même si Aube dorée change de nom, même si d’autres dirigeants prennent la relève, ce ne sera plus la même chose, martèle Dimitris Psaras. Le comportement des électeurs changera, car c’est une chose de voter pour des gens suspectés de meurtre, mais c’en est une autre de voter pour des personnes condamnées pour meurtre et appartenance à une organisation criminelle. C’est pour cela qu’il faut une condamnation de l’ensemble de la direction et rien de moins. »

(1) Le 17 juin, les gouvernements grec et macédonien ont conclu un accord mettant fin à un contentieux de vingt-sept ans et autorisant l’ancienne république yougoslave à adopter le nom de « Macédoine du Nord » en lieu et place de « Macédoine ». Lire ici.

(2) Voir leur appel aux dons sur goldendawnwatch.org

Monde
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